07/05/2008
LAMBEAUX
Ce matin-là, tu es autorisée à te rendre dans une petite cour pour y jeter des détritus. Deux hommes du pavillon voisin sont occupés à peindre des barreaux. En passant derrière eux, tu te saisis d'un pot de peinture et te précipites à l'intérieur du bâtiment. Tu roules en boule un morceau de papier resté au fond du panier, tu le plonges dans le pot, et cédant à une furieuse impulsion, tu écris avec rage sur un mur, sur la porte des surveillantes, du médecin, en grandes lettres noires dégoulinantes, ces mots qui depuis des jours te déchirent la tête
je crève
parlez-moi
parlez-moi
si vous trouviez
les mots dont j'ai besoin
vous me délivreriez
de ce qui m'étouffe
Tes mains. Ta robe. Tu ne peux nier. Ils te donnent des chiffons, du savon, de l'eau, et t'enjoignent de faire disparaître ce qu'ils nomment des barbouillages. Au lieu de les effacer, tu t'appliques à délayer la peinture et à l'étendre le plus possible.
La sanction est immédiate : dix jours de cellule. Dix jours sans revoir le jour. Une paillasse. Ta nourriture non pas servie dans une gamelle, mais jetée à même le sol.
Quand tu es de retour parmi les chroniques, tu es brisée.
Sur ces entrefaites, la guerre a éclaté. Antoine espace ses visites et l'idée de te faire sortir est abandonnée.
Charles Juliet, Lambeaux, P.O.L., 2001, p. 86-87
21:15 Publié dans La poésie des autres
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