Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/06/2008

LE BONHEUR NE DORT QUE D'UN OEIL

Une toile de couleurs pastel où la nature prédomine, bruissante ; une ode à la contemplation où se mêlent inquiétude et espérance. Lise Mathieu sème ses mots comme autant de petits cailloux, afin d'être sûre que l'on pourra toujours la retrouver, dans la fragilité d'être et cette incertitude que l'on devine, tapie derrière les mots. Le jeu d'ombre et de lumière teinte le recueil, et l'on retrouve la marque d'un enfouissement dans lequel voudraient se dissimuler les contradictions douloureuses d'une psyché empreinte de profondeur. Tant de brouillard de ciel et de vent // Et les mortels embrassements / De l'ombre et de la lumière. La douleur est perceptible – J'essaie de retenir // Un peu d'eau / Sous mes paupières // Mais il ne reste rien / Qu'un peu de peau / Beaucoup de pierres –, de même que la mélancolie : Je marche sur mon âme / Qui me suit en boîtant. La présence à la nature apporte ici un souffle, une respiration, la vie alors se remet à circuler : Avec mon feuillage / Un oiseau me traverse / Comme une idée // Des grains de lumière / Et des grains de nuit / Bougent dans mon corps ; une vie en constant va-et-vient entre extérieur et intérieur : J'ai lancé mes pensées / Dans la nuit / Faucons bagués // Toutes mes pensées dehors / Et le vide en moi / Comme une source sans murmure. La peau est comme un voile de réceptivité qui s'imprégnerait du dehors, l'absorberait dans son immensité : La paume du ciel sur mon front / Et les étoiles / Loin derrière. Car le dehors a une âme. Rien / rien d'aussi vrai / Que le regard sur moi / De l'oiseau / Arraché à la nuit. C'est peut-être là que se trouve le secret du bonheur.


Lise Mathieu, Le bonheur ne dort que d'un oeil. L'atelier imaginaire / Le Castor astral, 2006

Chronique parue dans Verso n°131 (déc. 2007)

15:20 Publié dans Chroniques

30/05/2008

LES ÉCAILLES DU PAS

Les écailles du pas, dans la barque / pleine du filet des douleurs, ce sont celles de l'enfance. Une enfance qui pèse lourd son fardeau de fêlures. Si ce n'était le cri de l'arbre / sans cesse jeté, / je me dirais enfant de terre / à l'horizon de mes poussières / là où le pas se couche / pour ne plus se lever. Les pas détricotent le monde en camisole. Je marche à l'envers de moi. Et, sur la peau, la longue longe / des désirs tatoués, [...] avides de mordre / jusqu'à l'os de la vie. Dans le silence et l'absence, veille une image, celle du voile / de Véronique, que la jeune femme choisit de suivre, un temps, pour retrouver le goût du miel, l'odeur de l'espérance. Il y a la nuit, où rien n'est encore dit, le pétrin de l'âme, dans la cendre. Il y a le matin qui ne se lève pas, et, dans l'obscurité, le travail de la terre des jours. Au milieu des tâtonnements, le long du couloir sombre, une étincelle, pourtant. En creux, / dans l'entre-deux, / articuler : / peut-être... Alors, la pluie / remonte le temps. Le temps, dont les battements cinglent le visage de ces mots / qui hissent la nuit / à hauteur d'aube, pour laisser émerger l'écriture / de l'endroit. La mort, comme un déclic. À nous foudroyer le coeur, / la mort de l'autre / traverse de vie / nos marécages. Dans la lente saveur du monde, enfin, le matin s'humecte les lèvres, / arrondit son jour / sous le plat de la main. Une pomme au creux / du compotier. / [...] ma peur déposée. / Et les dents du rire / qui remettent à sa place / le drame de vivre.


Isabelle Poncet-Rimaud, Les écailles du pas, Editinter, 2006

Chronique parue dans Verso n°131 (déc. 2007)

11:05 Publié dans Chroniques

22/05/2008

CÔTÉ JARDIN

Romain Fustier tient la chronique saisonnière d'un jardin, celui que l'on cultive, mais aussi celui que l'on porte en soi. L'absence de majuscules et de ponctuation, la régularité des vers transcrivent une succession d'impressions croquées sur le vif. Le jardin est le lieu où l'on est en prise directe avec les éléments ; les saisons s'y succèdent, l'été s'en va dans la brouette d'hortensias aux / fleurs fanées qu'on débarrasse ainsi sécateur / sorti un dimanche de rentrée. Novembre amène la pluie et la boue, son poids de mémoire historique, façons d'arbres ce ne sont plus rien que des / que j'observe sur l'almanach vivant du jardin / dans la lésine des feuilles tombées de l'hiver. La vie du jardin se répercute sur la vie intérieure. En été, on y savoure la douceur du soir : la lune se penche sur le noisetier il fait / un temps à boire un thé sur la terrasse une / nuit d'août mais nous sommes en juillet et / ce sera un sirop de fruits rouges que nous / dans la douceur du soir finalement boirons. La culture est ici à prendre dans sa double acceptation : culture de la terre, des plantes, mais aussi lecture ou écriture, que faire s'il pleut dimanche délaissant le jardin / nous retrouverons nos papiers sur la table en / bois dévoré par des vers qui font de petits trous / dans le réel en s'alignant dans des carnets des / blocs qualité vélin surfin quatre-vingt grammes. Rêverie, parfum de thé au jasmin et de la gelée de coing, arômes, plénitude de l'errance, c'est aussi cela que l'on trouve côté jardin.


Romain Fustier, Côté Jardin, Encres vives, Collection Encres Blanches n°258, 2006

Chronique parue dans Verso n° 130 (sept. 2007)


6974971ae8595e8af8677f91a419be3b.jpeg

12:20 Publié dans Chroniques

09/05/2008

DE MEMOIRE ET D'ERRANCE

Jean-Louis Bernard nous invite à un voyage dans les tréfonds de la mémoire celle, ancestrale, qui est aussi un passé en devenir, celle qui n'a ni commencement ni fin, qui confère à l'invisible, à l'innommé. Entre brûlure et solitude / quelque chose court. Commence une longue errance aux confins du vide : au croisement de l'arc / de toute mémoire / le vide est fulgurance. Cette quête incertaine dans le halètement de l'ombre veut croiser le sens dérobé : sur ses paumes / se concertent les hasards / laisseront grandir le sens / jusqu'au rien consenti. Marche / inlassable incertaine / marche / de mots en mues au rythme du rien. Toute trace s'efface, dans la permanence du vide, seule une barque de poussière / s'embrume aux berges lasses / esquif / dépossédé de ses empreintes. Ce qui se laisse entrevoir échappe, falaise d'un visage / ruissellement du jour // sur nos fêlures / sur nos mains de gravier / où l'eau se pétrifie. Fixer la poussière avec l'encre, avant qu'elle ne s'éparpille de nouveau : sur la margelle du poème / les sédiments d'un murmure / étanchent nos reflets / dans la rumeur radieuse / de nos ressouvenances. Sous le rituel / de son regard levé / s'incendient les remparts du verbe / jusqu'aux marches / de l'inconnaissable. Retrouver cette mémoire, c'est se libérer du présent et, dans la fulgurance d'un éclair, révéler le sensible : irruption / d'une étincelle pétrifiée / au bord ultime de la présence. Ainsi, sous la pluie du sens caché / l'homme délivré / désarrime ses rivages.


Jean-Louis Bernard, De mémoire et d'errance, Encres vives, 2006
Chronique publiée dans Verso n°130 (sept. 2007)

09:55 Publié dans Chroniques

04/05/2008

UN LIVRE POUR LA PLUIE

Un livre traversé par la pluie. La pluie trace les lignes de vie dans l'épaisseur de la feuille, lave les vitres, quand la douleur creuse de larges tranchées rouges. La pluie s'immisce au travers de l'encre / et atténue les aspérités de l'horrible monde / ces serpents ces crabes et ces humains // ces peuples attirés par la foudre et la guerre. J'écris un livre pour la pluie / abondante et fertilisante / cette vie naturelle et unique. L'écriture est une autre pluie, une tendresse dans la main / cette transpiration de la vie malgré les coups et les hurlements. Dans un paysage dévasté, la pluie creuse des rigoles qui entraînent une boue mêlée de sang et d'eau. Une vision pessimiste de la nature humaine et du monde, donc, accompagnée d'une lutte contre les démons intérieurs : L'homme sous ma paume se débat contre ses obsessions / et la pluie en ruisselets lourds et opaques ne lave plus son enfer, / dans la plaine à grands pas les astres fuient. La pluie est aussi l'espoir, comme une promesse à naître ou à fleurir // une graine à lever, alors que le monde est plongé dans une eau putride et cinglante. Le recueil se clôt sur un regret, celui de l'auteur de n'avoir pas su écrire le livre qui tenait entre ses pages la résine de la vie. L'univers n'a pas voulu attendre une autre averse / alors j'ai forcé la pluie / à me dévorer la main.


Jean-Michel Bongiraud, Un livre pour la pluie, Editinter, 2007
Chronique parue dans Verso n° 130 (sept. 2007).

16:00 Publié dans Chroniques

02/05/2008

LA FOLIE LA DOUCEUR

La folie la douceur, des textes en prose, pour chaque texte, une page, et une seule phrase. Cela commence avec une chirurgie du coeur, s'opérant à l'aide de tout un arsenal d'épingles et d'aiguilles qui percent, entaillent, déchirent la chair, la peau. Elle commence à vomir, à perdre ses ors, le gilet ses passements, et qu'en tirant sur la nappe la vaisselle dégouline. Paysage de dévastation, l'intérieur et l'extérieur s'imbriquent, elle dit que son bras passe à travers la verrière, qu'il y a des éclats, des phrases coupantes, que ça déchire les cris, le jardinet, le manteau élimé montrant sa trame. Trame d'une enfance brisée sur laquelle vient s'ajuster le sang d'une passion destructrice. Parce que c'est trop rouge, il faut qu'elle meure, qu'elle ne franchisse pas le seuil de la chambre, qu'elle ne dépasse pas les marques à la craie, le contour du corps sur le trottoir, qu'elle se protège du souffle, des métaux projetés. La douceur survient dans l'annulation de la vie, de l'existence, quand il n'y a plus de sang dans les veines, plus de traces sous la peau. Parce que l'amour est lié à la folie, il faudrait enterrer le coeur, le coeur qui est une tombe, un trésor, un mystère si profond que l'on voudrait s'en défaire, le lâcher contre le sol, l'oublier, le perdre, le briser en mille et un morceaux. Elle dit qu'il peut partir, que les oiseaux chantent, que le coeur brise le coeur. Il suffit qu'un oiseau s'envole dans le ciel pour que s'écarte le rideau de pluie, la mousseline accrochée au ciel et le ciel à la pluie. Et tout ceci, le ciel, les oiseaux dans le ciel, les branches du grand arbre, tulipier touchant le ciel, tout ceci, les roses, rien que les roses, l'épingle, le parfum, le ponceau de l'aiguillier je te le donne, et tout cela est pour toi.

Anita J. Laulla, La folie la douceur, Atelier de l'agneau, 2006.
Chronique publiée dans Verso n°130 (sept. 2007).

01:50 Publié dans Chroniques