13/05/2008
LE VENT
"Je t'aime", répète le vent à tout ce qu'il fait vivre. Je t'aime et tu vis en moi.
René Char, Fureur et mystère, NRF Poésie/Gallimard, 2006, p. 32
21:32 Publié dans La poésie des autres
CE QUI SE POURSUIT
Ce qui se poursuit là
N'a pas de commune mesure
Ce sont des phares
Jetés dans l'absence
La nuit que je voulais fuir
Me rapproche de moi-même
L'encre efface les étoiles
Les cigales se sont tues
Les vers luisants.
Le chant de l'ange, Encres vives, 2007
14:52 Publié dans La poésie des autres
12/05/2008
LES AILES DE CAMILLE
Un soir, alors qu'elle venait de lui "lire" une histoire en s'aidant des images et des mains, Camille, qui n'avait pas cinq ans, s'était levé d'un bond et avait attrapé un petit papillon de nuit empêtré dans le rideau. Il avait de la poudre d'écaille or et argent sur les doigts. Le papillon tremblait au creux de sa main, les ailes à moitié transparentes, en piteux état. Camille pleurait, voulait remettre les écailles sur les ailes, mais la poudre d'or et d'argent collait à sa peau et il ne faisait qu'aggraver les choses. Il s'était finalement résolu à poser le papillon mort sur un lit de coton dans une boîte d'allumettes, pour l'enterrer dans le jardin de ses grands-parents.
Depuis ce jour, il s'est mis à en dessiner partout, à en inventer avec des ailes de toutes les couleurs. Il n'a plus jamais touché un papillon. Il se contente de les suivre du regard et de courir après.
Jean-Jacques Marimbert, Les ailes de Camille, Casterman/Cadet, Collection "Comme la vie", 2002, p. 38-39
23:55 Publié dans La poésie des autres
09/05/2008
DE MEMOIRE ET D'ERRANCE
Jean-Louis Bernard nous invite à un voyage dans les tréfonds de la mémoire celle, ancestrale, qui est aussi un passé en devenir, celle qui n'a ni commencement ni fin, qui confère à l'invisible, à l'innommé. Entre brûlure et solitude / quelque chose court. Commence une longue errance aux confins du vide : au croisement de l'arc / de toute mémoire / le vide est fulgurance. Cette quête incertaine dans le halètement de l'ombre veut croiser le sens dérobé : sur ses paumes / se concertent les hasards / laisseront grandir le sens / jusqu'au rien consenti. Marche / inlassable incertaine / marche / de mots en mues au rythme du rien. Toute trace s'efface, dans la permanence du vide, seule une barque de poussière / s'embrume aux berges lasses / esquif / dépossédé de ses empreintes. Ce qui se laisse entrevoir échappe, falaise d'un visage / ruissellement du jour // sur nos fêlures / sur nos mains de gravier / où l'eau se pétrifie. Fixer la poussière avec l'encre, avant qu'elle ne s'éparpille de nouveau : sur la margelle du poème / les sédiments d'un murmure / étanchent nos reflets / dans la rumeur radieuse / de nos ressouvenances. Sous le rituel / de son regard levé / s'incendient les remparts du verbe / jusqu'aux marches / de l'inconnaissable. Retrouver cette mémoire, c'est se libérer du présent et, dans la fulgurance d'un éclair, révéler le sensible : irruption / d'une étincelle pétrifiée / au bord ultime de la présence. Ainsi, sous la pluie du sens caché / l'homme délivré / désarrime ses rivages.
Jean-Louis Bernard, De mémoire et d'errance, Encres vives, 2006
Chronique publiée dans Verso n°130 (sept. 2007)
09:55 Publié dans Chroniques
07/05/2008
LAMBEAUX
Ce matin-là, tu es autorisée à te rendre dans une petite cour pour y jeter des détritus. Deux hommes du pavillon voisin sont occupés à peindre des barreaux. En passant derrière eux, tu te saisis d'un pot de peinture et te précipites à l'intérieur du bâtiment. Tu roules en boule un morceau de papier resté au fond du panier, tu le plonges dans le pot, et cédant à une furieuse impulsion, tu écris avec rage sur un mur, sur la porte des surveillantes, du médecin, en grandes lettres noires dégoulinantes, ces mots qui depuis des jours te déchirent la tête
je crève
parlez-moi
parlez-moi
si vous trouviez
les mots dont j'ai besoin
vous me délivreriez
de ce qui m'étouffe
Tes mains. Ta robe. Tu ne peux nier. Ils te donnent des chiffons, du savon, de l'eau, et t'enjoignent de faire disparaître ce qu'ils nomment des barbouillages. Au lieu de les effacer, tu t'appliques à délayer la peinture et à l'étendre le plus possible.
La sanction est immédiate : dix jours de cellule. Dix jours sans revoir le jour. Une paillasse. Ta nourriture non pas servie dans une gamelle, mais jetée à même le sol.
Quand tu es de retour parmi les chroniques, tu es brisée.
Sur ces entrefaites, la guerre a éclaté. Antoine espace ses visites et l'idée de te faire sortir est abandonnée.
Charles Juliet, Lambeaux, P.O.L., 2001, p. 86-87
21:15 Publié dans La poésie des autres
MÊME SI
Même si
Peu
Au fil de l'eau
Il reste des lettres
À tracer à lire
Même si
S'écoule le sable
Dans le temps
Requin
Filtre la peau.
08:55 Publié dans La poésie des autres
VIVRE
Pour avoir mis le pied
Sur le coeur de la nuit
Je suis un homme pris
Dans les rets étoilés.
J'ignore le repos
Que connaissent les hommes
Et même mon sommeil
Est dévoré de ciel.
Nudité de mes jours,
On t'a crucifiée ;
Oiseaux de la forêt
Dans l'air tiède, glacés.
Ah ! vous tombez des arbres.
Jules Supervielle, Gravitations, NRF Poésie/Gallimard, 1994, p. 153
08:50 Publié dans La poésie des autres
05/05/2008
MARDIS D'ISABELLE
Les Mardis d'Isabelle, soirées poétiques animées par Anne-Lise Blanchard, accueillent
mardi 20 mai à 20 h
Fabrice Vigne en duo avec Christophe Sacchetini pour une lecture musicale de son dernier roman "Les Giètes"
35 rue Sainte-Hélène 69002 Lyon M° Bellecour
Participation : 3 euros et un mets ou une boisson
Réservation : 06 63 92 97 23
Soirée fabuleuse en perspective. Faites-le savoir et venez nombreux !
Anne-Lise Blanchard (à Gauche) avec Chantal Dupuy-Dunier.
Mars 2007
(Photographie de Denis Langlois)
19:25
VERSET DES BRÛLURES
Au sommet de l'arbre
velours d'une nuit très longue
Qui m'entraîne
fleuve ou vent ?
***
Recrue d'énigme
et pourtant
déchirure du voile délices de l'ouïe
sève sur le tambour du mortier
***
Rassasiée avide
le détruit empierre la voie
inventorie la confluence
***
Abolie engendrée
abolie engendrée
***
Ce qui fait trembler s'égarer
excède les confins
***
Ce qui fait trembler
s'égarer
hors nom qui oscille
Geneviève Vidal, Libations, Jacques André Éditeur, 2005, p. 18-20 ; 23-25
14:20 Publié dans La poésie des autres
LE PETIT PRINCE
Le petit prince fit l'ascension d'une haute montagne. Les seules montagnes qu'il eût jamais connues étaient les trois volcans qui lui arrivaient au genou. Et il se servait du volcan éteint comme d'un tabouret. "D'une montagne haute comme celle-ci, se dit-il donc, j'apercevrai d'un coup toute la planète et tous les hommes..." Mais il n'aperçut rien que des aiguilles de roc bien aiguisées.
"Bonjour, dit-il à tout hasard.
– Bonjour... Bonjour... Bonjour..., répondit l'écho.
– Qui êtes-vous ? dit le petit prince.
– Qui êtes-vous... qui êtes-vous... qui êtes-vous..., répondit l'écho.
– Soyez mes amis, je suis seul, dit-il.
– Je suis seul... je suis seul... je suis seul...", répondit l'écho.
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Folio Junior, Gallimard Jeunesse, 2004, p. 63
12:35 Publié dans La poésie des autres