17/07/2019
OURLETS II
À gauche, les notes du père, à droite, les mots de la fille. Clara Regy est restée proche de son père, et est aussi restée attentive aux petits riens du quotidien de son paternel : menues courses (et listes de commissions), lierre descendu du mur des voisins, grattage de la terre, repiquage des salades, plantation des dahlias… Cette attention se ressent dans les notes menues que l’on imagine écrites par son père, et qu’elle a retranscrites :
semé laitue d’hiver Merveille
rhume Humex comprimé et gélules
plus de 25 mm de pluie
dans la nuit
Autant de petites notes, qui sont comme les notes d’un journal, esquissées au jour le jour : les menus événements, faits et activités de tous les jours d’un père plus très jeune et menant une vie simple. Les poèmes de la fille, à droite, parlent du père, de ce que la fille retient de celui-ci, de leur relation :
parfois ta bouche parle
tu ne racontes rien
je n’ose te le dire
parfois ta bouche parle
et me fait mal
aussi
quelques mots
perdus
Clara Regy dessine le portrait de son père, qui est resté attaché à la terre, à son jardin :
tu cramponnes le temps au creux des arrosoirs
sans doute un peu moins pleins
la pomme fait semblant
de pleurer davantage
au-dessus des patates
dans le creux de la terre
Elle parle de la toile du jean, de la blouse de travail bleu bugatti, des femmes qu’il regarde ou dont il se souvient avec gourmandise – nous avons tous les deux / passé l’âge / de rougir. Elle parle des légumes de son jardin, des œufs de poule ramassés, dont il est si fier. Un recueil presque à quatre mains, dans lequel père et fille partagent une touchante proximité.
Clara Regy, Ourlets II. Lanskine, 2019
17:24 Publié dans Chroniques
05/12/2016
NÉ SANS UN CRI
Après « Et s'il ne parlait pas », publié en 2013 chez le même éditeur, Amandine Marembert fait paraître « Né sans un cri », au titre beaucoup plus tragique. Elle poursuit l'exploration de la parole silencieuse de son garçon autiste, commencée il y a quelques années avec « Un petit garçon un peu silencieux », paru aux éditions Al Manar. Le recueil est composé de vignettes en prose poétique, l'une en haut, l'autre en bas de la page, et au milieu, un espace blanc, figurant une plage de silence. Ce livre est dédié à son fils, Jasmin, qui porte un nom de fleur, et auquel elle s'adresse, en utilisant le « tu ». Une façon pour elle de tisser un lien de connivence avec son petit garçon différent, d'établir une passerelle, par le biais de la poésie, elle qui aimerait, plus tard, peut-être, lui lire ce livre de poèmes écrit pour lui. Émouvant témoignage d'amour d'une mère à l'égard de son enfant. Amandine Marembert raconte son enfant différent, depuis l'énonciation du diagnostic médical, brutal et assourdissant, jusqu'à son évolution plus récente. Elle dit à la fois la réalité objective, le personnel soignant et éducatif, le quotidien partagé entre l'école, l'hôpital de jour et l'institut médico-éducatif, et le regard subjectif de la mère aimante, l'amour des parents et de la petite sœur, loin des clichés et des étiquettes.
« Dire que tu es un enfant autiste ne te définit pas. C'est une étiquette. Tu es notre petit garçon un peu silencieux, venu de la lune. Tu flottes dans un espace constellé de taches de lumière qui te happent et t'empêchent souvent d'être présent au monde ».
La poésie permet une approche légère, subtile, elle opère des transmutations, une alchimie qui transforme une réalité difficile en un univers onirique, empli de sensations et de perceptions. « Tu as une grâce de danseur qui rejoint les étoiles. Tu pratiques la haute voltige des cerises ». Il y a la nature, que l'enfant aime observer attentivement, il y a la fascination du ressac des vagues, les longues contemplations devant la mer. « Tu écoutes avec attention le ruisseau qui coule, les oiseaux du jardin, le craquement des feuilles ». Les mots respirent, créent une harmonie, ils véhiculent la douceur et l'amour, n'enferment pas l'enfant, le laissent respirer. « Le filet du hamac te tresse une voûte de feuilles transparentes. Tu y respires entre les nervures ».
Le recueil d'Amandine Marembert a aussi une portée militante, avec le souci de véhiculer la parole très peu partagée de la réalité de l'autisme, y compris la réalité sociale. Car il ne faut pas oublier que peu de moyens sont octroyés par l’État pour prendre en charge les personnes autistes. « Peu de personnes savent qu'on offre des pièces délabrées, aux stores cassés, à la moquette poussiéreuse, à ces enfants différents ». Pour les parents, il y a aussi la contrainte des trajets en voiture, pour conduire leur enfant dans les différents établissements qui le suivent.
Amandine Marembert parle des peurs de son fils, de ses refus, de ses troubles. Elle dit aussi ce qu'il aime, les caresses, les jeux, le jardin… Elle voudrait effacer la frontière qui se dresse entre lui et le monde. « Il faut comprendre la personne avec autisme. Essayer de se mettre à sa place et adopter son point de vue ». Elle sème des cailloux de Petit Poucet pour ne pas perdre la trace de Jasmin. Pour le suivre sur son chemin balisé, pour déchiffrer ses énigmes et partager son univers.
Amandine Marembert, Né sans un cri. Les Arêtes, 2016
09:58 Publié dans Chroniques
19/05/2016
LA CONNIVENCE DU MARCHAND DE COULEURS
Le marchand de couleurs est celui qui permet d'imaginer la passion écarlate / d'un monde indicible. Il traverse des contrées où la société ne semble pas avoir élu domicile. Seuls une maison, un hameau, un village feront sûrement surface mais pour longtemps ce chemin / suffit. Le recueil s'attache au périple de ce personnage dans un espace-temps intemporel.
Le voyage ici n'est pas un moyen de rencontrer d'autres civilisations, mais une façon d'être au monde. La terre, le ciel, les paysages, voilà ce qui compte. Marie-Ange Sebasti semble faire l'éloge du dépouillement. Le marchand de couleurs ne possède rien, il s'habille de sable / pour épouser la vague. Ce qui compte, c'est la capacité à s'émerveiller, à regarder le monde avec un œil neuf. Ce n'est pas le foisonnement de la nature qui éblouit, c'est la pureté du paysage, les différentes teintes du ciel selon le moment de la journée.
Jour après jour le crépuscule
brasse toutes les couleurs
inonde l'univers
rétrécit les galaxies
Marie-Ange Sebasti parle de liberté. De la capacité de partager sans parole non pas des biens mais
quelques cailloux
quelques talus
un rêve à l'endroit
un rêve à l'envers
la lumière vorace
la lumière déçue
Capacité à dialoguer avec les planètes, à faire de l'univers une source inépuisable de richesse. Ainsi la terre devient moins désinvolte / plus précieuse.
Marie-Ange Sebasti, La connivence du marchand de couleurs. Jacques André éd., 2016
Photo de Josette Vial
13:03 Publié dans Chroniques
04/04/2016
UN TEMPS D'HIVER
Roland Tixier est un poète urbain dont les textes, concis et dépouillés, traduisent les émotions les plus simples, mettant en lumière l’ordinaire. Un temps d’hiver réunit plusieurs recueils écrits entre 1988 et aujourd’hui, proposant ainsi plus de vingt ans de poèmes. Le premier recueil, 33 fois l’espoir, évoque des souvenirs d’enfance : le journal du matin lu au café, l’entrée de l’usine, le terrain de foot du dimanche, la colonie de vacances. Les mots parlent de la pauvreté, avec une attention portée aux petites gens. Dans Pour ainsi dire émerge une fragilité, une blessure, évoquées à demi-mots, veines ouvertes / de l’intérieur, douleurs éparses, et rendues perceptibles par la vision de l’homme étendu / la bouche close, du chat écrasé / sur les pointillés. Si l’univers de Roland Tixier est avant tout urbain, le poète garde en lui le souvenir des noisetiers limousins, comme une note d’espoir, une nature ténue au cœur de la ville, une nature qui cohabite avec le béton. Dans On va vers les beaux jours, l’espoir semble se faire plus prégnant, avec une sensibilité accrue aux détails du quotidien, qui deviennent des pépites de soleil, ainsi, le cri d’une hirondelle, une feuille de bronze / sur ciel de lait, deviennent des éléments favorisant le bonheur, permettant de ne pas rester dans la douleur. Roland Tixier s’émerveille sur de menues impressions ou sensations. Il apprend à laisser de côté ce qui n’en vaut pas la peine.
pour un peu parfois
mandarines papillotes
les douces lueurs
les larmes dans la gorge
ce n’est rien peut-être
le bonheur simple d’exister
Roland Tixier, Un temps d'hiver. La Passe du vent, 2014
09:27 Publié dans Chroniques
03/03/2016
FURET
Clara Regy nous livre avec ce Furet, prix des Trouvères 2015, des bribes d’enfance, souvenirs d’une petite fille de huit ans laissée dans une ferme, prise en charge par une vieille femme, peut-être une tante, alors que sa mère est partie. Aux scènes de vie quotidienne de la ferme, avec les hommes bruns / de bouse chaude, le cochon que l’on tue et dont le sang forme un collier liquide, la naissance d’un veau, les haricots que l’on cueille, s’ajoute le vécu de la petite fille qui rêve de s’évader de là, enfant qu’on oublie / au bord / et qui goûte à la mort, sa tristesse – elle n’était pas / venue / - ma mère -, sa peur dans cette campagne pleine d’ombres et de plantes qu’elle ne connaît pas. L’enfant voit des choses qu’elle ne comprend pas, une vache morte – je crois / qu’elle me regarde / et que c’est de ma faute –. Il y a aussi cette vieille femme, évoquée de façon récurrente, qui s’occupe d’elle mais qui n’est pas une maman, et qui demeure une étrangère. Pourtant, çà et là apparaissent des pépites de plaisir, le vin du goûter, les poupées de maïs / en chevelure folle / nattées indiennes, et jusqu’à ce petit corps / luisant / de savon / chaud aperçu par-dessus un muret. La vieille femme apparaît de plus en plus souvent dans les dernières pages du recueil, comme si naissait une forme d’attachement, et l’enfant voudrait la défendre des riches dames du château devant lesquelles elle se courbe. Des années plus tard, Clara Regy se souvient de cette femme qui, avec l’âge, retomba en enfance : je la vois moi / je disais / je la vois // et encore // aujourd’hui / peut-être.
Clara Regy, Furet. Editions Henry, 2016
13:14 Publié dans Chroniques
03/09/2015
S'IL EXISTE DES FLEURS
Ce sont des poèmes sur la guerre, vue à travers le prisme de la nature. S’il existe des fleurs, il existe des hommes, ces hommes tombent, mais les fleurs restent. Ce sont des poèmes courts, des phrases simples, pour dire les jeunes hommes enrôlés durant la guerre, fauchés dans la fleur de l’âge. L’émotion naît de ce regard posé sur la nature, qui demeure, et de ces mots du poème pour dire le bleu du jour, les arbres les murs un temple / entre la terre et la mer.
le jour donne le bleu
de branche en branche
s’étend sur les campagnes
ne compte pas les morts
La mort est ici abordée avec le regard de l’innocence. Le recueil fonctionne par images, par scènes. On voit les animaux, les hommes courir dans l’herbe, on voit les arbres, la nature, on imagine le silence dans une prairie caressée par le soleil.
les animaux courent devant
pour ne pas être tués
aussi des hommes
courent autant
ils restent chauds
après leur dernier souffle
C’est cela qui contraste : la douceur et la tendresse qui émanent des mots, et la violence, l’horreur de la guerre, qui demeurent en arrière-plan.
depuis les collines apparaît le soleil
des soldats dévalent les collines
s’inquiètent soudain du silence des oiseaux
Cécile Guivarch nous touche par sa capacité d'empathie, elle qui sait si bien éprouver ce que d’autres vivent dans leur propre chair.
ils ont froid
de tant de neige tombée sur leurs tombes
ils ont froid et se rapprochent
se regardent presque
Cécile Guivarch, S’il existe des fleurs, L’arbre à paroles, 2015
11:49 Publié dans Chroniques
21/01/2015
VÊTUE DE VENT
« Vêtue de vent ». À la fois le féminin et la liberté. Le sacré aussi. Geneviève Vidal parle d’elle, mais son « je » est universel, il parle de toutes les femmes dans le monde, celles que leur condition a entravées, ligotées, martyrisées. « S’évader, Rêver ». Sortir de la prison. Le désir de liberté est très fort chez Geneviève Vidal, elle qui, passionnée de voyages, a soif de grands espaces. Ces grands espaces que l’on trouve aussi à l’intérieur de soi. « Ici lié à là-bas / Loin s’approche / en vagues égales ». Ainsi, les distances s’amenuisent. Malgré les « périls », malgré les « accrocs », ce qui prédomine est la quête d’une beauté que rien ne vient troubler dans sa plénitude. « Ce BLEU je veux en parler / Pin sombre qui encore s’allonge vers le ciel / J’aspire à la tranquillité de son faîte / à boire comme lui les rais du soleil ». Car sur l’autre versant de la beauté se trouvent la cruauté, la « décomposition des chairs », « le vagabond laissé pour mort » ; les balles sifflent, la haine sévit... Geneviève Vidal le sait. Sa conscience de la cruauté du monde la pousse à chercher plus loin le sens du poème. Tout est enfantement, le poème est un accouchement, en même temps qu’une naissance à soi : « es-tu la mère ou l’enfant ». L’art, les divinités, sont conviés jusque dans cette « nuit balinaise » où les dieux et les démons s’affrontent.
« Grondement du volcan / gueule du monstre Barong / déversant les flammes // Ondulation des danseuses / Voir par les yeux du serpent // Tresser les souffles pour conjurer la peur // S’enroulent les anneaux du temps ».
Geneviève Vidal, Vêtue de vent, Jacques André éditeur, 2014
15:29 Publié dans Chroniques
23/08/2014
CHANTS D'UN OISEAU DE NUIT
Le recueil commence par des considérations sur le quotidien : Descendre l’escalier, / Sortir les chats, / Rentrer les chats, / Donner à manger aux chats, par une critique de l’américanisation et de l’argent fou. Très vite, le rêve supplante le réel, non pas le rêve américain, mais L’épisode unique / D’un feuilleton / Qui se réécrit / Souvent. Rêver au passé. Instants saisis au vol. Alain Crozier déroule le film de sa jeunesse. C’est une gare désaffectée, un mercredi de pluie continue, un repas de noël… Mais le vrai rêve survient au milieu du recueil quand les filles connues, croisées, aimées refont surface. Pour Alain Crozier, Il faut toujours renier le futur, / Il faut toujours revivre le passé, / Il faut toujours essayer tout ça. // Refuser la fatalité, / Recommencer les bons moments, / L’ère antérieure à un air… Puis, rêver aux rencontres possibles, fantasmées. Rêves de puissance et de séduction. Ce sont sans doute ces deux parties qui sont les plus intéressantes, les plus envoûtantes. Le rêve est donc ici un contrepoids au réel, au présent. Alain Crozier semble nostalgique de l’époque où il découvrait les Doors et vibrait aux chansons de Morrison. Ses Chants d’un oiseau de nuit sont un petit concert nocturne à écouter…
Alain Crozier, Chants d’un oiseau de nuit, Jaques André éditeur, 2014
20:09 Publié dans Chroniques
17/05/2014
UNE LECON DE SÈVE
Une leçon de sève a obtenu le prix des Trouvères 2011. Jean-Christophe Ribeyre est un poète discret, qui semble préférer l’imprégnation de la nature à l’exposition de soi. Dans ce recueil, l’orage, la grêle, évoquent le saccage, tout comme les aléas de la vie peuvent saccager un être. Ces êtres cousus de silence qui se fondent dans l’ombre des jardins, dont l’inquiétude va de pair avec une beauté peureuse, et que l’on ne remarque pas tant ils sont discrets. Il faut alors baisser la voix car ces hommes n’irradient pas à la lumière, ils purgent leur peine dans le gel. Le jardin cette nuit s’est voilé / d’une trop grande / montée d’énigme. Quelque chose vient, le printemps, il faut alors puiser aux réserves limpides. Jean-Christophe Ribeyre sait évoquer la difficulté d’une lente mutation. Comment passer de la douleur et de l’anéantissement à un état plus harmonieux, alors que tout semble tellement figé ; par quelle pierre passer pour traverser le ruisseau ? La grêle arrive, frappant au / cœur, directement / au cœur. C’est en nous / ce qui meurt, / ce qui lapide au loin / emportant la lumière. Or, soudainement, la vie jaillit, les abeilles, la lavande, les papillons se soulèvent, dans un éblouissement, la joie éclate silencieuse / comme un champ de tournesols. C’est un beau recueil que cette « leçon de sève », qui nous incite à écouter au plus près la fragilité des êtres et des choses.
Jean-Christophe Ribeyre, Une leçon de sève, Éditions Henry, 2011
14:17 Publié dans Chroniques
23/11/2013
VOUS ÊTES MES AÏEUX
Cécile Guivarch marche sur les traces de ses ancêtres, dans une quête généalogique, guidée par le désir de connaître ces êtres, hommes, femmes, enfants qui l’ont précédée, de savoir qui ils étaient, comment ils vivaient. Ces hommes et ces femmes qui vivaient avant elle, de la lignée desquels elle est issue, viennent hanter ses rêves, habitent son présent. vous êtes mes aïeux / vous vivez dans mon corps / circulez dans mon sang / vous dansiez dans ma tête / avant même ma naissance / tout ce que vous taisez. Extraits de lettres, d’archives, viennent témoigner, des dates sur un état civil, des recherches sur les conditions de vie de l’époque, vos maisons à dormir tous blottis / le four à pain l’eau dans les tonneaux. La sève continue de couler dans l’arbre généalogique, le sang circule, porteur de mémoire, des blancs demeurent entre les branches. Des noms de rues, des prénoms, s’égrènent, sur les photographies en noir et blanc, la dureté du regard s’adoucit. Des pages à imaginer, tenter de reconstituer les champs le blé noir / le lin les pommes de terre / le bouillon dans vos assiettes / vous n’en disiez rien / vos peurs à déranger / vos blessures à guérir. Conditions de vie, donc, mais aussi états d’âme, émotions, ressentis, sont évoqués, reconstituant le portrait de personnes disparues. Je reste longtemps / regarder mon arbre / ce qu’il a de feuilles / remue ensemble avec moi.
Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux, Éditions Henry, 2013
18:05 Publié dans Chroniques