21/10/2019
Lecture à La Virevolte
12:34 Publié dans Actualités de Valérie
26/08/2019
La Grande Papillon
Tortue
La première chose que ma fureur
a pulvérisée, c’est
ma carapace
Tu as tout essayé
pour que je ressemble de nouveau
à une babiole :
porcelaine, ébène, ivoire
des tortues en rang sur une étagère
J’aurais peut-être dû laisser mûrir mes idées
mais pousser un cri
était forcément nécessaire
Et maintenant
mes écailles répandues tracent
un sentier magique
dont tu es champion par ta méfiance
toi qui m’enjoignais : Ne crie pas
Delfine Guy, La Grande Papillon. Al Manar, 2019
08:40 Publié dans La poésie des autres
17/07/2019
OURLETS II
À gauche, les notes du père, à droite, les mots de la fille. Clara Regy est restée proche de son père, et est aussi restée attentive aux petits riens du quotidien de son paternel : menues courses (et listes de commissions), lierre descendu du mur des voisins, grattage de la terre, repiquage des salades, plantation des dahlias… Cette attention se ressent dans les notes menues que l’on imagine écrites par son père, et qu’elle a retranscrites :
semé laitue d’hiver Merveille
rhume Humex comprimé et gélules
plus de 25 mm de pluie
dans la nuit
Autant de petites notes, qui sont comme les notes d’un journal, esquissées au jour le jour : les menus événements, faits et activités de tous les jours d’un père plus très jeune et menant une vie simple. Les poèmes de la fille, à droite, parlent du père, de ce que la fille retient de celui-ci, de leur relation :
parfois ta bouche parle
tu ne racontes rien
je n’ose te le dire
parfois ta bouche parle
et me fait mal
aussi
quelques mots
perdus
Clara Regy dessine le portrait de son père, qui est resté attaché à la terre, à son jardin :
tu cramponnes le temps au creux des arrosoirs
sans doute un peu moins pleins
la pomme fait semblant
de pleurer davantage
au-dessus des patates
dans le creux de la terre
Elle parle de la toile du jean, de la blouse de travail bleu bugatti, des femmes qu’il regarde ou dont il se souvient avec gourmandise – nous avons tous les deux / passé l’âge / de rougir. Elle parle des légumes de son jardin, des œufs de poule ramassés, dont il est si fier. Un recueil presque à quatre mains, dans lequel père et fille partagent une touchante proximité.
Clara Regy, Ourlets II. Lanskine, 2019
17:24 Publié dans Chroniques
08/07/2019
Deux notes sur "caché dévoilé"
Dans le Terre à ciel de juillet, deux notes sur "caché dévoilé", l'une de Sabine Huynh, l'autre de Clara Regy :
"Il y a... elle, femme-paysage, femme-enfant, et ses mots « humbles » face au « chaos du monde », accrochés à l’enfance et aux merveilleux petits riens qui rappellent la tanière d’antan remplie de joies et protégée de l’indifférence. Il y a une tombe, un deuil, un apaisement cherchant profondeur, des images pures recomposées en retrait du monde. Il y a beaucoup de lumière dans ce texte qui pourtant n’oublie pas que sous le soleil il y a aussi « Alep ventre ouvert ». Il y a une peau de femme qui respire, une sensualité en veille ouverte aux frissons, une sensibilité qui saisit absolument tout.
poésie quand le vert
déverse l’eau des arbres
la poche à l’intérieur
où baignent les tiges
tête recourbée
le coquelicot
j’ai des pétales
pour sentir
le monde vibrer"
Sabine Huynh (à lire sur Terre à ciel)
**
caché dévoilé est un chant, aux vers aigus ou tendres, un jeu entre regard et cœur.
Les images se succèdent, la nature fait son œuvre, soigne, guérit l’enfance. Pensées vers le père, la mère, la sœur ? Un fil sur lequel balance ce regard, alourdi de doutes, de manques, mais d’amour aussi.
Valérie Canat de Chizy, n’oublie pas ce qu’elle nomme « différence », mais elle semble ici, dépassée par les gestes, « les peaux sont douces/après l’amour » quelque chose qui ressemblerait au bonheur, troublée cependant par les douleurs du monde, “ Alep ventre ouvert/où grouillent les vers », et puis peut-être aussi le sentiment de cette intolérable impuissance « sous le sable / les mots se taisent ».
Et c’est ainsi que le texte se construit, se déchire et reprend :
le poème monte
une vague
va et vient
il puise à la source
ce qui dort sous la paille
à l’abri des regards
coquille éclatée de l’œuf
l’oisillon crie famine
les petits becs ouverts
de mon ventre
s’abreuvent
Dans ce recueil, « elle » ose dire et redire, dans des mots gorgés de silence, mais ce silence-là, on l’entend, mieux on l’écoute et puis voilà : « le chat s’étire/sur le dos ».
« J’ai aimé le poème » dit-il alors, et nous, lecteurs, combien pouvons-nous le comprendre !
Clara Regy (à lire sur Terre à ciel)
08:56 Publié dans Recueils parus
17/06/2019
Du soleil, sur la pente
Et non seulement l’herbe
et tous les objets posés
sur son tapis
déroulé comme un rire
propagé par-dessus
les murmures du jardin,
mais aussi et surtout
toi en robe tendre
et la ronde vive
des enfants,
et moi dans l’ombre
d’un silence
qui survole tout cela
flottant léger
sur la pente du soleil
et d’un seul désir :
Nous en tenir
au courant.
Morgan Riet, Du soleil, sur la pente. Éditions Voix Tissées, 2019
08:43 Publié dans La poésie des autres
22/05/2019
CORROSION
Thiap
On a pris la route
comme si ce n’était pas la dernière fois.
L’air sentait bon,
la forêt serait toujours là
et les grands arbres.
On a marché
tout était parfait,
le claquement de l’eau
les papillons fous
tourmentés par le vent,
une couleuvre et les singes
qui attendaient qu’on s’éloigne
pour reprendre les conversations.
Puis le film s’est accéléré.
On a parlé, parlé à toute vitesse.
La vie était lovée dans la paume d’une main,
on l’observait.
On a pris la route
comme si je ne devais pas partir demain
et je suis partie.
Toujours on part,
à l’Ouest, carrément.
Je crois que quelque chose m’a suivie,
je l’entends
encore
par moment
qui me chuchote une autre histoire
et caresse mon cœur de cuir.
Février 2017, forêt de Khao Yaï
(Khao Yaï, Thaïlande)
Mireille Disdero, Corrosion. La Boucherie littéraire, 2019
12:40 Publié dans La poésie des autres
25/04/2019
DES ORTIES ET DES HOMMES
À Chavagnac, j’ai comme une autre vie où des femmes en noir nous regardent passer avec les chèvres. Nonna et moi, on n’est pas des bergères, on est des cheminières. On n’a pas de troupeau, pas de chien, pas de colline à nous. Que les fossés et les palisses. Nonna m’apprend pour les orties. J’ai juste à la regarder cueillir comme si c’était des fleurs, à mains nues sous les feuilles. Il suffit de les prendre par la douceur et la peau ne sent rien. Je mets mes bras en cercle pour tenir le haut du sac. Nonna le remplit sans rien dire. C’est léger même plein, le sac d’orties et de silence. Je porte tout sans mal, le mystère des vilaines herbes qui ne le sont plus.
Paola Pigani, Des orties et des hommes. Liana Levi, 2019
10:38
14/03/2019
caché dévoilé
Caché dévoilé oscille entre le silence et le monde, entre le repli et l'ouverture, une certaine plénitude et l'angoisse. Avec soi-même et face aux autres. Il y a pourtant beaucoup de bonheur. Celui de recevoir une lettre, les petites choses simples et quotidiennes comme un soleil qui caresse la peau, le duvet des poussins, les fleurs et la joie de gambader ou d'entrer dans une librairie, le mouvement de la mer. L'écriture aussi fait partie des petites joies, quand cet exercice ne devient pas ambivalent face aux événements de la vie ou les échos qui parviennent du monde. Ainsi, Valérie Canat de Chizy va du bonheur à la tristesse, alterne poèmes de soleil et poèmes ravivant les blessures, celles de l'enfance, celles de la perte du père, celles de la différence : " Parfois / je me sens grande / puis la blessure / se réveille ". L'écriture permet-elle de balayer ces fragilités ? " je vois la beauté / et pourtant la tristesse / ne desserre son étreinte ". À la fois ours et lumière, recroquevillée dans sa peau et prête à accueillir des pensées d'amour sur sa peau, Valérie Canat de Chizy accroche et décroche les différentes parties d'elle-même. Il s'agit d'accepter, d'y parvenir, d'être au monde, au sein des autres avec des mots de fleurs, de soleil et de plonger les yeux dans des regards de détresse parfois. Si la blessure est présente, ce que l'on retient c'est l'aller vers l'avant, la visible simplicité du bonheur lorsqu'il s'agit de le cueillir par la magie des mots et de la poésie. Prendre respiration, s'envoler lorsque l'étau se desserre.
Cécile Guivarch
Ils en parlent :
Claude Vercey, sur le site de la revue Décharge
Sabine Huyhn, sur le site Terre à ciel
Clara Regy, sur le site Terre à ciel
Florent Toniello, sur le site D'ailleurs poésie
Marie-Anne Bruch, sur son blog La bouche à oreilles
Murièle Camac, sur son blog Les portes de la perception
Angèle Paoli, des extraits sur le site Terre de femmes
12:33 Publié dans Recueils parus
22/10/2018
JOUR APRÈS NUIT
L’ombre est nue le matin, sans hâte
j’avance vers les mots qui viennent
à ma rencontre : mes mains butent
sur leur peau, cherchent le sillon où
devenir une voix meilleure, plus limpide,
semblable au chant du verre, caressé.
Une bouche à qui confier l’écume
bouillonnante de vivre
au cœur des chardons,
là où l’immensité pique.
Viens, il nous reste des secrets
à se dire dans l’obscurité parfaite
et le feu des épices.
La mer est derrière la fenêtre, pleine
de voyages indécis.
Larmes intimes offertes
au sable. Mes mains se perdent
dans la brûlure ouverte
où trébuchent et sombrent
les oiseaux blessés,
les paroles décousues, fil à fil.
Martin Laquet, jour après nuit. La Passe du vent, 2017
08:55 Publié dans La poésie des autres
27/08/2018
FÊLURE
parfois notre vision se trouble
l’idée que nous avons
de nous-même notre identité
dans le ciel intérieur il y a
une fêlure et des lisérés blancs
on voudrait colmater les brèches
à coups de jaune d’œuf
appliqué au pinceau
donner de la chaleur de la rondeur
comme la pâte de la brioche
devient dorée sur le dessus
pourtant le ciel demeure opaque
des goélands le transpercent
de leurs ailes de leurs cris
même si au fond tout est silence
alors les mots se faufilent
se blottissent contre nous
08:55