11/07/2014
D'ÊTRE LE COEUR OUVERT
d'être le coeur ouvert
comme un bleuet
des mains étirent la chair
champs de coquelicots
vieilles pierres
forment une césure
la gorge rétrécit.
*
partir fuir
à l'ombre
des châtaigniers
dialoguer avec les pierres
tenir à distance les meutes
aux abois
visages déchirés qui se superposent
forment des taches sombres.
*
où est l'amour
les corps se heurtent
dans la pupille des chats
je vois la clarté jaune
du soleil la tendresse
du pain.
Extraits publiés dans Saraswati n°13 (mai 2014)
10:57 Publié dans La poésie des autres
28/06/2014
QUI SOUS LE BLANC SE TAIT
plus dense que tu ne crois
la pierre porte la brûlure
vers le lieu exact touchant l'étoffe
non pas vers un point rouge tendu
par-dessus la faille
mais dans l'indéchiffrable
à l'arrière des yeux
dans l'odeur naissante du soir
n'oublie pas que sous les paupières
il faut mordre la nuit
qui sous le blanc se tait
Erwann Rougé, qui sous le blanc se tait, Editions Potentille, 2013
11:38 Publié dans La poésie des autres
17/05/2014
UNE LECON DE SÈVE
Une leçon de sève a obtenu le prix des Trouvères 2011. Jean-Christophe Ribeyre est un poète discret, qui semble préférer l’imprégnation de la nature à l’exposition de soi. Dans ce recueil, l’orage, la grêle, évoquent le saccage, tout comme les aléas de la vie peuvent saccager un être. Ces êtres cousus de silence qui se fondent dans l’ombre des jardins, dont l’inquiétude va de pair avec une beauté peureuse, et que l’on ne remarque pas tant ils sont discrets. Il faut alors baisser la voix car ces hommes n’irradient pas à la lumière, ils purgent leur peine dans le gel. Le jardin cette nuit s’est voilé / d’une trop grande / montée d’énigme. Quelque chose vient, le printemps, il faut alors puiser aux réserves limpides. Jean-Christophe Ribeyre sait évoquer la difficulté d’une lente mutation. Comment passer de la douleur et de l’anéantissement à un état plus harmonieux, alors que tout semble tellement figé ; par quelle pierre passer pour traverser le ruisseau ? La grêle arrive, frappant au / cœur, directement / au cœur. C’est en nous / ce qui meurt, / ce qui lapide au loin / emportant la lumière. Or, soudainement, la vie jaillit, les abeilles, la lavande, les papillons se soulèvent, dans un éblouissement, la joie éclate silencieuse / comme un champ de tournesols. C’est un beau recueil que cette « leçon de sève », qui nous incite à écouter au plus près la fragilité des êtres et des choses.
Jean-Christophe Ribeyre, Une leçon de sève, Éditions Henry, 2011
14:17 Publié dans Chroniques
11/04/2014
NAVIGUER DANS LES MARGES
bourgeons bourgeonnant
fièrement portés par les branches
promesse de vert et d'ombre
de fleurs de fruits de musiques
bourgeons feuilles endormies
l'arbre prodigue écoute en lui
germer ses frissons de pensées.
*
l'inespérée
l'étoile qui tombe dans ta main
habillée de lumières
de rêves filés en août
et puis l'étoile se givre
jusqu'à Noël espéré.
Luce Guilbaud, Naviguer dans les marges, SOC & FOC, 2013
18:53 Publié dans La poésie des autres
07/03/2014
TALISMAN
PRÉFACE
L’enfance vient souvent visiter le présent de Valérie Canat de Chizy pour rappeler son désarroi, ses peurs, ses démons, mais aussi ses espoirs, ses rêves infinis : la vie est un rêve perpétuel / demain demain demain.
Ce rêve permanent permet d’écouter les murs, d’intercepter des signaux, d’imaginer des rencontres avec des êtres capables de trouver le langage approprié, de nourrir un échange chaleureux : Indiens (leur regard te parle), Dogons, ou hommes préhistoriques, dont l’ocre des peintures rupestres s’incruste /dans les plaies /du temps.
Mais le rêve n’est pas que l’attente passive des éclairs qui ébranleront les jours. Il révèle aussi cette force vitale qui nous met parfois en mouvement pour traverser d’épaisses forêts, débroussailler, chercher pour soi un espace vacant, qui donnera lieu à une véritable rencontre. En cet espace, le poème peut prendre racine, même s’il est semé sur la terre dure, et alors proclamer la joie. En cet espace, le poème a les vertus d’un talisman.
je ne dis pas l’absence
mais le plein
boursouflure de pâte
le levain monte
On ne peut qu’être attentif et sensible à cette voix qui, au fil des recueils, prend une belle revanche sur le silence.
Marie-Ange Sebasti
09:23 Publié dans Recueils parus
31/01/2014
COMME J'AI BESOIN
Mon coeur ce sont les questions de l'enfant
Le lait du manque
Les miroirs du sang de l'oiseau
Un cimetière d'un pigeon domestique
Comment établir une trêve avec mon coeur
Comme ma chanson a besoin
de porter les plumes de l'âme
Comme mon épouse a besoin de se préparer
pour la braise de ma lèvre
et les feux de mes doigts
Et moi comme j'ai besoin
d'ouvrir
avec la lumière les fenêtres
de mon coeur pour la journée
Tarek Al Karmy, "Comme j'ai besoin" in Poésie de Palestine : anthologie rassemblée par Tahar Bekri, Al Manar, 2013
19:47 Publié dans La poésie des autres
01/01/2014
Stolons
Ne plus exister qu’à soi-même
Chercher l’indifférence à l’autre
Pour mieux résister… Mais à quoi ?
Faut-il s’exiler disparaître
Sans se lasser de n’être plus ?
Plus qu’un avers décoloré
À l’œil vitreux au souffle court ?
Non. L’enjeu est de faire face
Et d’avoir un regard-aimant
Seul et unique dénouement
Gérard Gâcon, Stolons. Jacques André éditeur, 2013
18:23 Publié dans La poésie des autres
23/11/2013
VOUS ÊTES MES AÏEUX
Cécile Guivarch marche sur les traces de ses ancêtres, dans une quête généalogique, guidée par le désir de connaître ces êtres, hommes, femmes, enfants qui l’ont précédée, de savoir qui ils étaient, comment ils vivaient. Ces hommes et ces femmes qui vivaient avant elle, de la lignée desquels elle est issue, viennent hanter ses rêves, habitent son présent. vous êtes mes aïeux / vous vivez dans mon corps / circulez dans mon sang / vous dansiez dans ma tête / avant même ma naissance / tout ce que vous taisez. Extraits de lettres, d’archives, viennent témoigner, des dates sur un état civil, des recherches sur les conditions de vie de l’époque, vos maisons à dormir tous blottis / le four à pain l’eau dans les tonneaux. La sève continue de couler dans l’arbre généalogique, le sang circule, porteur de mémoire, des blancs demeurent entre les branches. Des noms de rues, des prénoms, s’égrènent, sur les photographies en noir et blanc, la dureté du regard s’adoucit. Des pages à imaginer, tenter de reconstituer les champs le blé noir / le lin les pommes de terre / le bouillon dans vos assiettes / vous n’en disiez rien / vos peurs à déranger / vos blessures à guérir. Conditions de vie, donc, mais aussi états d’âme, émotions, ressentis, sont évoqués, reconstituant le portrait de personnes disparues. Je reste longtemps / regarder mon arbre / ce qu’il a de feuilles / remue ensemble avec moi.
Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux, Éditions Henry, 2013
18:05 Publié dans Chroniques
29/10/2013
CETTE PARCELLE INEPUISABLE
Marie-Ange Sebasti nous offre un recueil pétillant et frais comme un verre de limonade. Pas de pesanteur dans ces textes, où l’enfance est convoquée à tous les étages. L’enfant du recueil, c’est le poème, celui qui pique de courtes mais violentes colères, qui trépigne d’impatience pour sortir. Un enfant turbulent qui démonte les lucarnes / et défie les étoiles / sans jamais grandir en sagesse. L’enfant, le poème, permet au regard de se perdre à l’horizon, de dialoguer avec les anges. Il est une invitation à un voyage aux quatre saisons des déserts ; les mots naviguent autour du monde, s’assoupissent au cours de longues escales, puis reviennent à quai, la peau hâlée. Marie-Ange Sebasti explore avec beaucoup de malice cette parcelle inépuisable qui permet une échappée belle, et de s’affranchir du gris des jours et des peurs du passé. Son recueil prend délibérément le parti du bonheur. J’exerce mes pinceaux / à rattraper la joie / sur la ligne de fuite. Retrouver son cœur d’enfant, c’est aussi ne pas se prendre au sérieux, conserver un brin de fantaisie et de légèreté. On ne se lasse pas de ces images où s’exerce l’imagination, ni de ces souvenirs du jardin du Palais-Royal où une nuée d’enfants migrateurs / virevoltait. Un beau recueil.
Marie-Ange Sebasti, Cette parcelle inépuisable, Jacques André éditeur, 2013
19:08 Publié dans Chroniques
02/10/2013
AU COEUR DE LA ROYA
Monastère de Saorge. Crédit photo : Paul Silici
Françoise Siri a écrit ce recueil au cours d’une résidence d’écriture dans le monastère de Saorge, petit village médiéval à flanc de colline des Alpes maritimes, au cœur de la Roya. Les premiers textes s’attachent à dépeindre la montagne qui porte le village, la roche, le pavé italien, à les rendre vivants. Les images convoquent les sens pour doter de vie le paysage : sur le rocher la verte agreli a le goût acidulé de l’enfance. L’église et le cloître sont dépeints : partout des mains / Des mains offertes des mains ouvertes, des anges et une croix. Les murs du couvent sont ornés de fresques à moitié effacées, d’un gros médaillon tendre comme un biscuit / Rose guimauve et vert anis ; les fresques sont en lambeaux, la peinture, délavée, effacée par les âges ou par la main de l’homme. Les personnages de ces fresques sont défigurés et ici, c’est la souffrance qui perce, La fresque saigne blanc. Plus loin sont évoquées les veuves du village, et c’est la mémoire qui resurgit, celle d’avant la guerre, avec les scènes de bal où les filles dansaient pour trouver un mari. Au cœur de la Roya a la saveur des biscuits d’antan au goût délicat et tendre, friables comme les vestiges du passé.
Françoise Siri, Au cœur de la Roya, Éditions Henry, 2013
10:08 Publié dans Chroniques