24/08/2017
ANCRÉS
Tout pèse et tire alentour
L'oeil peine à quadriller l'espace
Alors nous opposons quelques signes
au pouvoir de la nuit
Quelques paroles fichées en terre
pour le flux mouvant des ombres
Comme si seule comptait
notre présence dans le noir.
*
L'espace a besoin de nous
pour se savoir espace
Nous avons besoin de lui
pour nous savoir nous
un plus un - seuls
aussi seuls
que le premier arbre
de la première île.
Marilyse Leroux, Ancrés. Éditions Rhubarbe, 2016
09:51 Publié dans La poésie des autres
14/06/2017
OISEAUX DE PASSAGE
Feuilles
Puits de fraîcheur où plonge la lumière
Sève
Sang végétal aux discrètes senteurs
Fruits
Qui jamais d'autre faim que du corps ne nourissent
Et ne savent rien
Ni du bien ni du mal
Fruits faits pour le régal des oiseaux de passage.
*
J'ai vu des hommes
Ils étaient transparents tant leur coeur était pur
Et tel dans ses lambeaux était couleur de l'eau
De larme incandescente
J'ai vu des femmes
Leur chant était si pur qu'il se fondait dans l'air
Et leurs syllabes reines avaient la noble forme
Des oiseaux de passage
(Rayonnants par l'esprit).
Chloé Landriot, Un récit. Polder n°174, 2017
13:28 Publié dans La poésie des autres
30/05/2017
SANS ABUELO PETITE
Les yeux au loin, le soleil.
À quoi penses-tu dans ton pays là-bas ?
Les oiseaux, à travers le monde,
ont volé vite, tu ne les as pas retrouvés.
Tu es entouré de vagues
brisées contre les rochers.
Tes rêves font du bruit en s'écrasant
*
Tel un oiseau auquel on a coupé les ailes,
tu ne sais pas comment mettre les bras.
Si tu dois les plier ou les cacher derrière le dos.
Alors tu poses les mains sur la table, tu écris.
Des centaines de lettres.
Tu lui dis que tu l'aimes que tu ne l'as pas oubliée.
Tu lui dis que tu veux revenir mais tu ne le peux pas.
Tu lui demandes des nouvelles de la niña,
tu sais qu'elle a grandi.
Tu demandes des nouvelles de la niña.
Dans ton pays là-bas où la niña ne parle pas de toi.
Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite. Les carnets du dessert de lune, 2017
13:28 Publié dans La poésie des autres
20/03/2017
l'écriture la vie
Ils en parlent :
- Marie-Anne Bruch sur son blog La bouche à oreilles
- Patrice Maltaverne sur son blog Poésiechroniquetamalle
Préface de Sanda Voïca
Le titre, l’écriture la vie : entre les deux syntagmes il n’y a pas de mot de liaison ou de séparation. Jamais une évidence n’a été plus surprenante, voire plus émouvante : la vie et l’écriture ne font qu’un. Si un mot de liaison nous est épargné, sa présence est augmentée par la méthode d’écriture de Valérie Canat de Chizy. A l’écoute du monde, par-delà l’écoute de son propre corps, jusqu’à l’oiseau posé sur son cœur, et qui reste difficile à entendre, ou bien à travers son corps devenu oreille, la poète saisit le matériau infiniment riche de ses réactions affectives, intellectuelles, mais aussi de toute la vie passée, présente et future, la sienne et celle des autres, proches et lointains, de même que celle des plantes, des animaux et des minéraux.
Un tri s’opère, une sélection où on oublie certains moments de vie pour ne se souvenir et fixer que quelques autres. Une association insolite de visions et oublis.
L’origine de la vie est trouvée et la poésie est le cheminement vers cette origine. Mais la marche et la démarche sont dérivantes. La poète évite d’aller droit au but. Ce chemin – plein de détours et détournant – conduit à l’origine du monde, celle qui fait que la différence entre le chat le plus concret, du quotidien de la poète, et l’oiseau le plus fantasque (fantasmé) – celui posé sur son cœur – soit effacée, et que les deux soient faits de la même essence, aient la même nature : la beauté. La poète n’est sensible ni à la beauté ni à la laideur de la vie, mais à la vie, tout simplement, qui comprend les deux à la fois. Inextricablement. Ils sont, tous les deux, poésie.
Chaque poème est aussi un argument pour nous convaincre que tous les états d’âme, les états des choses et même l’état du monde, même les faits du passé et ceux qui ne sont pas encore arrivés, sont toujours en mouvement. Le poème est un essai pour contenir le mouvement du monde. Plus que fixer des vertiges, la poésie de Valérie Canat de Chizy fixe des vibrations puissantes et bien différentes.
Par le biais de l’observation, des descriptions, l’auteure se livre aussi elle-même. Sa poésie se dit / écrit avec elle et pour elle et aussi avec nous et pour nous. Elle nous concerne tous. Elle nous donne l’impression que la vie est la première et la dernière chose qui nous arrive. Mais si la vie est une telle chose, définitive, l’écriture sur la vie de Valérie Canat de Chizy ne peut être que la vie réinventée.
Les vers sont si proches des gestes de la vie, que d’eux émane une lumière forte, presque cruelle.
Nous avançons dans ce recueil comme dans une forêt inconnue et familière à la fois, et où toujours une maison magique nous attend – celle de la poète, devenue la nôtre.
Ecriture définitive d’une vie rendue définitive.
Sanda Voïca, novembre 2016
16:57 Publié dans Recueils parus
21/02/2017
MATIN D'HIVER
Qui annonce la couleur
en ce matin d'hiver
où les vaches blanches et noires
sont si blanches, si noires
qu'on les dirait peintes à la main
quand elles broutent le vert
sous le bleu du ciel
qui annonce la couleur
le passant
le paysage
le poète
ou le poème ?
Baie de Douarnenez, hiver
Yvon Le Men, Le poids d'un nuage. Les continents sont des radeaux perdus, 2. Ed. Bruno Doucey, 2017
09:47 Publié dans La poésie des autres
09/01/2017
INFINIMENT PROCHE
dans la bouche d’une étoile
entre l’ébloui et l’englouti
la vie veut sa rosée de nuit
une porte ouverte sur le ciel
où je reviens sans être allé
où je reviens sans être né
*
Je commencerai par être
un verbe
sans limites
un langage
où rien ne serait dit
mais tout pressenti
dans le monde visible
et nulle part ailleurs
un grain de sable
qui dialogue avec les dieux
une élévation
dans l’affection et le bruit neufs
un miracle inouï
sous le soleil de la conscience
je commencerai par être
en devenant ce que je suis
Zéno Bianu, Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas. Poésie/Gallimard, 2015
09:03 Publié dans La poésie des autres
05/12/2016
NÉ SANS UN CRI
Après « Et s'il ne parlait pas », publié en 2013 chez le même éditeur, Amandine Marembert fait paraître « Né sans un cri », au titre beaucoup plus tragique. Elle poursuit l'exploration de la parole silencieuse de son garçon autiste, commencée il y a quelques années avec « Un petit garçon un peu silencieux », paru aux éditions Al Manar. Le recueil est composé de vignettes en prose poétique, l'une en haut, l'autre en bas de la page, et au milieu, un espace blanc, figurant une plage de silence. Ce livre est dédié à son fils, Jasmin, qui porte un nom de fleur, et auquel elle s'adresse, en utilisant le « tu ». Une façon pour elle de tisser un lien de connivence avec son petit garçon différent, d'établir une passerelle, par le biais de la poésie, elle qui aimerait, plus tard, peut-être, lui lire ce livre de poèmes écrit pour lui. Émouvant témoignage d'amour d'une mère à l'égard de son enfant. Amandine Marembert raconte son enfant différent, depuis l'énonciation du diagnostic médical, brutal et assourdissant, jusqu'à son évolution plus récente. Elle dit à la fois la réalité objective, le personnel soignant et éducatif, le quotidien partagé entre l'école, l'hôpital de jour et l'institut médico-éducatif, et le regard subjectif de la mère aimante, l'amour des parents et de la petite sœur, loin des clichés et des étiquettes.
« Dire que tu es un enfant autiste ne te définit pas. C'est une étiquette. Tu es notre petit garçon un peu silencieux, venu de la lune. Tu flottes dans un espace constellé de taches de lumière qui te happent et t'empêchent souvent d'être présent au monde ».
La poésie permet une approche légère, subtile, elle opère des transmutations, une alchimie qui transforme une réalité difficile en un univers onirique, empli de sensations et de perceptions. « Tu as une grâce de danseur qui rejoint les étoiles. Tu pratiques la haute voltige des cerises ». Il y a la nature, que l'enfant aime observer attentivement, il y a la fascination du ressac des vagues, les longues contemplations devant la mer. « Tu écoutes avec attention le ruisseau qui coule, les oiseaux du jardin, le craquement des feuilles ». Les mots respirent, créent une harmonie, ils véhiculent la douceur et l'amour, n'enferment pas l'enfant, le laissent respirer. « Le filet du hamac te tresse une voûte de feuilles transparentes. Tu y respires entre les nervures ».
Le recueil d'Amandine Marembert a aussi une portée militante, avec le souci de véhiculer la parole très peu partagée de la réalité de l'autisme, y compris la réalité sociale. Car il ne faut pas oublier que peu de moyens sont octroyés par l’État pour prendre en charge les personnes autistes. « Peu de personnes savent qu'on offre des pièces délabrées, aux stores cassés, à la moquette poussiéreuse, à ces enfants différents ». Pour les parents, il y a aussi la contrainte des trajets en voiture, pour conduire leur enfant dans les différents établissements qui le suivent.
Amandine Marembert parle des peurs de son fils, de ses refus, de ses troubles. Elle dit aussi ce qu'il aime, les caresses, les jeux, le jardin… Elle voudrait effacer la frontière qui se dresse entre lui et le monde. « Il faut comprendre la personne avec autisme. Essayer de se mettre à sa place et adopter son point de vue ». Elle sème des cailloux de Petit Poucet pour ne pas perdre la trace de Jasmin. Pour le suivre sur son chemin balisé, pour déchiffrer ses énigmes et partager son univers.
Amandine Marembert, Né sans un cri. Les Arêtes, 2016
09:58 Publié dans Chroniques
28/10/2016
FIGURES QUI BOUGENT UN PEU
Parfois le plaisir qu'on a est grand (même s'il est un leurre)
À soudain rougir devant le sourire nu du monde.
À cause de ces moments la peur de mourir se perd :
Je vous aime vivants dans le temps qui s'en ira sans moi.
James Sacré, Figures qui bougent un peu. Poésie/Gallimard, 2015
11:42 Publié dans La poésie des autres
03/10/2016
Je murmure au lilas (que j'aime)
Ils en parlent :
Isabelle Lévesque sur le site Terre de femmes
Marilyne Bertoncini, dans Recours au poème
Marilyse Leroux, sur le site de la revue Texture
Jean-Christophe Ribeyre, dans Verso n°168
« Qu’est-ce qu’entendre ? » demande Valérie Canat de Chizy, « A quoi ressemble le bruit d’un arbre dans le vent ? » Les sens nous ouvrent au monde, la perte de l’un d’entre eux est forcément ressentie comme un arrachement. Se dresse alors devant soi une frontière invisible qui peut paraître infranchissable. « Celui qui est resté dans le silence est demeuré dans une bulle. Sur la vitre, il y a un halo, vision trouble du monde. Tout est brouillé. Comment saisir les lettres, les mots, les aspérités ? Le tram passe sans bruit. »
L’auteure dit avec pudeur l’absence et le sentiment du vide autour de soi. Mais le poème permet de se confronter à l’inaudible, de le dépasser et de faire jaillir une parole qui restituera au monde ses territoires occultés. Une parole qui réduira la distance, renouera peu à peu le lien cassé et saura « ouvrir la cage à grands coups de respiration et d’assouplissements ».
Se confronter au silence du monde c’est également se confronter aux deuils, au silence des absents, celui notamment d’un père disparu. « Papa n’est plus là il a replongé dans le silence, seul au bord d’une gare routière. Les voitures passent à toute allure dans les feux de la nuit le long des vitres de son appartement. » Sa présence, comme arrachée au silence, refait brièvement surface. Valérie Canat de Chizy l’accueille alors, se tenant un temps à la « jonction entre le monde des vivants et celui des morts. »
Ce livre magnifique rend sensible le cheminement souterrain de la parole poétique par-delà les mots que l’on échange au quotidien, il dit sobrement la blessure de ressentir au plus profond de soi cette « coupure », cette « césure, tellement vivaces au creux des chairs ».
Jean-Christophe Ribeyre
12:59 Publié dans Recueils parus
22/08/2016
NOUS VIVONS COMME LES FEUILLES
Nous vivons comme les feuilles
avec un peu d'été dans les poches
et le sucre de l'automne sur la langue
Devant les yeux fermés
La guerre ressemble aux feuilles brunes
La mort de loin a parfois
dit-on de belles couleurs
Sur des bogues s'empalent
des abeilles sans courage
La ville froide écaille le lait
jasmin de ses vitres
*
Il y avait des hommes
qui prenaient soin des bêtes
moins pour leur force et leur sang
que pour leur présence
leur regard qui met en ordre le monde
et la grande paix de leurs pas
Laurent Faugeras, Deux visages de la même eau, Les éd. du Contentieux, 2016
09:04 Publié dans La poésie des autres