28/02/2018
TRAVERSER L'HIVER
Ce matin
Matin de mousse verte dans l'entrejambe des arbres
J'apprends à épeler des couleurs
Dans la palette du ciel à reconnaître l'oiseau
Qui n'aimait pas son frère et j'apprends
À chanter sans le savoir des poèmes transparents
Comme l'air
Froissé sous des ailes
Je vois ce trou de lumière qu'enlacent des nuages
Médusés par leur propre puissance
D'air et d'eau
Je fixe les restes de la nuit dans mon bol de café
Je suinte l'amour par tous les pores
Je rédige à l'emporte-pièce
Des phrases qui cognent
Contre le jour
Qui me refuse sa bouche
Adeline Baldacchino, 13 poèmes composés le matin (pour traverser l'hiver). Rhubarbe, 2017
09:30 Publié dans La poésie des autres
24/01/2018
NOUS SALUONS LES ORAGES
Nous saluons les orages
les renards boivent l'eau des bois
il fait souple dans ma cabane
approche ta main : elle brûle
tel feu de bois où craquent
des bûches un peu vertes
et j'aime ta respiration ample
près de mon corps assoupi
il est temps de vivre vite
les joues et les mains jointes
ah, j'aime ces instants fluides
qui ont en commun avec la mer
l'élément liquide et l'alternance
de violence et de douceur.
Emmanuelle Le Cam, Nous saluons les orages. Raphaël de Surtis, 2017
14:59 Publié dans La poésie des autres
21/12/2017
LE POÈME CORRESPONDANT
17:25 Publié dans Recueils parus
04/12/2017
APPELS EN ABSENCE
Saison après saison
les mêmes gestes pour le retour
la table mise les vitres claires
à peine une hésitation de la main
et la langue lèche l'usure des choses
la tête prise entre deux éclaircies
nous puisons à même la peau
l'imparfait du dialogue
la table mise les vitres claires
le rouge du sourire
l'attendu convoqué.
*
Les hirondelles ont tant de joie
à découdre le ciel
jardin terre débris de fleurs
des mots me viennent raniment
corps sans force les mains inutiles
le soleil découpe la terrasse
l'absence du chat me met à nu
tu es parti
ton sac de mer est toujours prêt
les cartes des rivages d'où tu appelleras
fil coeur à coeur déroulé dès le seuil.
Luce Guilbaud, Appels en absence. Les éditions du Petit Pois, 2017
11:34 Publié dans La poésie des autres
13/11/2017
BOIS DE PEU DE POIDS (hiver-printemps)
ce lézard sur votre terrasse la traversant
dans le soleil du matin / il rachète
par son passage / son chauffé de paresse /
toute cette faune aux coups en douce
l'automne dernier / loirs qui ont dévoré
les poires dans les cagettes / les kiwis
à mûrir dans la serre ont dérobé
avant d'hiverner / poil gris sans bruit
& queue touffue furtivement dans la nuit
sans doute / as-tu pensé trop tard /
& souris & consorts qui opèrent
dans la cave durant les mois froids
que ces écailles balaient avec leur retour /
allez-vous-en rongeurs au printemps
Romain Fustier, Bois de peu de poids (hiver-printemps). Lanskine, 2017
09:14 Publié dans La poésie des autres
20/10/2017
(un peu)
Tu voulais danser
sur cette chanson d’amour idiote
me serrer dans tes bras
en tournoyant sous les étoiles
tu étais presque aussi ivre que moi
« La vie est belle » tu as dit
et j’ai fait semblant d’y croire
(un peu)
on est tombés là
dans l’herbe humide
et on y est restés
parce que c’était pas pire qu’ailleurs
parce qu’on était incapables
de se relever
parce que nos solitudes
l’une contre l’autre
se tenaient chaud et
se rassuraient
(un peu)
Marlène Tissot, Histoires (presque) vraies. Le pédalo ivre, 2015
11:26 Publié dans La poésie des autres
24/08/2017
ANCRÉS
Tout pèse et tire alentour
L'oeil peine à quadriller l'espace
Alors nous opposons quelques signes
au pouvoir de la nuit
Quelques paroles fichées en terre
pour le flux mouvant des ombres
Comme si seule comptait
notre présence dans le noir.
*
L'espace a besoin de nous
pour se savoir espace
Nous avons besoin de lui
pour nous savoir nous
un plus un - seuls
aussi seuls
que le premier arbre
de la première île.
Marilyse Leroux, Ancrés. Éditions Rhubarbe, 2016
09:51 Publié dans La poésie des autres
14/06/2017
OISEAUX DE PASSAGE
Feuilles
Puits de fraîcheur où plonge la lumière
Sève
Sang végétal aux discrètes senteurs
Fruits
Qui jamais d'autre faim que du corps ne nourissent
Et ne savent rien
Ni du bien ni du mal
Fruits faits pour le régal des oiseaux de passage.
*
J'ai vu des hommes
Ils étaient transparents tant leur coeur était pur
Et tel dans ses lambeaux était couleur de l'eau
De larme incandescente
J'ai vu des femmes
Leur chant était si pur qu'il se fondait dans l'air
Et leurs syllabes reines avaient la noble forme
Des oiseaux de passage
(Rayonnants par l'esprit).
Chloé Landriot, Un récit. Polder n°174, 2017
13:28 Publié dans La poésie des autres
30/05/2017
SANS ABUELO PETITE
Les yeux au loin, le soleil.
À quoi penses-tu dans ton pays là-bas ?
Les oiseaux, à travers le monde,
ont volé vite, tu ne les as pas retrouvés.
Tu es entouré de vagues
brisées contre les rochers.
Tes rêves font du bruit en s'écrasant
*
Tel un oiseau auquel on a coupé les ailes,
tu ne sais pas comment mettre les bras.
Si tu dois les plier ou les cacher derrière le dos.
Alors tu poses les mains sur la table, tu écris.
Des centaines de lettres.
Tu lui dis que tu l'aimes que tu ne l'as pas oubliée.
Tu lui dis que tu veux revenir mais tu ne le peux pas.
Tu lui demandes des nouvelles de la niña,
tu sais qu'elle a grandi.
Tu demandes des nouvelles de la niña.
Dans ton pays là-bas où la niña ne parle pas de toi.
Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite. Les carnets du dessert de lune, 2017
13:28 Publié dans La poésie des autres
20/03/2017
l'écriture la vie
Ils en parlent :
- Marie-Anne Bruch sur son blog La bouche à oreilles
- Patrice Maltaverne sur son blog Poésiechroniquetamalle
Préface de Sanda Voïca
Le titre, l’écriture la vie : entre les deux syntagmes il n’y a pas de mot de liaison ou de séparation. Jamais une évidence n’a été plus surprenante, voire plus émouvante : la vie et l’écriture ne font qu’un. Si un mot de liaison nous est épargné, sa présence est augmentée par la méthode d’écriture de Valérie Canat de Chizy. A l’écoute du monde, par-delà l’écoute de son propre corps, jusqu’à l’oiseau posé sur son cœur, et qui reste difficile à entendre, ou bien à travers son corps devenu oreille, la poète saisit le matériau infiniment riche de ses réactions affectives, intellectuelles, mais aussi de toute la vie passée, présente et future, la sienne et celle des autres, proches et lointains, de même que celle des plantes, des animaux et des minéraux.
Un tri s’opère, une sélection où on oublie certains moments de vie pour ne se souvenir et fixer que quelques autres. Une association insolite de visions et oublis.
L’origine de la vie est trouvée et la poésie est le cheminement vers cette origine. Mais la marche et la démarche sont dérivantes. La poète évite d’aller droit au but. Ce chemin – plein de détours et détournant – conduit à l’origine du monde, celle qui fait que la différence entre le chat le plus concret, du quotidien de la poète, et l’oiseau le plus fantasque (fantasmé) – celui posé sur son cœur – soit effacée, et que les deux soient faits de la même essence, aient la même nature : la beauté. La poète n’est sensible ni à la beauté ni à la laideur de la vie, mais à la vie, tout simplement, qui comprend les deux à la fois. Inextricablement. Ils sont, tous les deux, poésie.
Chaque poème est aussi un argument pour nous convaincre que tous les états d’âme, les états des choses et même l’état du monde, même les faits du passé et ceux qui ne sont pas encore arrivés, sont toujours en mouvement. Le poème est un essai pour contenir le mouvement du monde. Plus que fixer des vertiges, la poésie de Valérie Canat de Chizy fixe des vibrations puissantes et bien différentes.
Par le biais de l’observation, des descriptions, l’auteure se livre aussi elle-même. Sa poésie se dit / écrit avec elle et pour elle et aussi avec nous et pour nous. Elle nous concerne tous. Elle nous donne l’impression que la vie est la première et la dernière chose qui nous arrive. Mais si la vie est une telle chose, définitive, l’écriture sur la vie de Valérie Canat de Chizy ne peut être que la vie réinventée.
Les vers sont si proches des gestes de la vie, que d’eux émane une lumière forte, presque cruelle.
Nous avançons dans ce recueil comme dans une forêt inconnue et familière à la fois, et où toujours une maison magique nous attend – celle de la poète, devenue la nôtre.
Ecriture définitive d’une vie rendue définitive.
Sanda Voïca, novembre 2016
16:57 Publié dans Recueils parus