21/04/2013
LE JASMIN, LA NEIGE, l'ENFANCE
J’ai seulement des choses très simples
le soleil s’est découpé peu à peu comme
ma mère découpait le pain
nous mettons la soupe sur la table
(ces choses au-dehors qui tombent lentement,
le jasmin, la neige, l’enfance)
goût de piments rouges et de dents heureuses
nos corps nous tiennent encore chaud quelque temps
dans l’âge avancé de la nuit.
Lorand Gaspar, Sol absolu, Poésie/Gallimard, 2001, p. 62
10:54 Publié dans La poésie des autres
18/03/2013
PRINTEMPS
Aquarelle de Tanguy Dohollau
21:52 Publié dans La poésie des autres
09/03/2013
BLEU PROFOND
Rupture des chairs
Ici s’ancre un pays d’eau
Assouvie d’espace
Et j’aime le chant qui vient
Le long des jambes
A la rencontre
De la matière –
Entre les bras, une
Escapade
Un flot de lumière
Veilleuse de
Temps fragiles
*
Traverser le jour
En apnée
Se croire cormoran
Du haut de la falaise lancer sa vie
Au sein du noir
Se forger
Identité nouvelle
Les os craquent un peu
Il fait temps de saison
Je brûle de toi
Emmanuelle Le Cam, Bleu profond, Citadel Road Editions, 2007
19:03 Publié dans La poésie des autres
12/02/2013
NOUS NOUS ATTENDONS
Elle glissait du fauteuil pour aller par terre
Poussière à respirer, à moitié de la laine
À moitié des petites miettes
Un tapis pour s’imaginer la chaleur
Il s’allonge très fort à côté d’elle
Sur le flanc
Puis sur le dos
Comme s’il y avait des étoiles par-dessus
Sous la table, en attendant toujours
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Le Castor Astral, 2012, p. 67
13:33 Publié dans La poésie des autres
26/01/2013
LE BLEU DES VEINES
Dans le titre perce déjà la notion de fragilité : la finesse et la blancheur de la peau laissant transparaître le bleu des veines. Louis Raoul écrit tout en délicatesse, à l’écoute de l’imperceptible solitude des êtres qu’il évoque. Ceux qui ne sortent plus / Habitent des maisons végétales / Ils n’ont plus de corps / Depuis longtemps / Il ne reste aux fenêtres / Qu’un visage de longues veilles / Noyé dans la vitre. Ces premiers vers portent à eux seuls le vide, la blancheur, le sentiment d’inexistence de ceux qui, restés derrière la vitre, n’ont que la désolation du paysage pour meubler leur solitude. Ce qui est évoqué ici, ce sont des vies qui ne sont remplies par rien, si ce n’est l’éternité d’une cigarette / À chaque aspiration […] et ces moments de rêverie / Où tout ne tient que par un fil / Bleu.L’imperceptible, c’est le vent derrière les arbres / Et ce froissement entendu […] l’odeur du pain grillé / Celui qu’il faut mâcher lentement / Pour croire un moment / Que ces pas dans la neige / Sont pour nous.Mais personne ne viendra. Louis Raoul, dont j’avais déjà rendu compte du recueil « Feuille de l’air » paru aux éditions de l’Atlantique, est à l’affût du tremblement léger de la vie, si léger que certains ne le perçoivent pas. L’impalpable solitude des mots.
Louis Raoul,Le bleu des veines, Citadel Road Editions, 2012
16:03 Publié dans Chroniques
12/01/2013
LE HÉRISSON
Il y a un hérisson qui dort sous les iris
Ne le réveille pas mon amour
il a traversé des brouillards
et pointé son museau vers tous les nords de ma vie.
Sous la peau tremblée de son ventre
j'ai belle lurette caché un souvenir de nous :
nous nous étions pris entre nos bras souvent
mais il s'y trouvait quelque chose d'incertain
qu'il avait fallu recouvrir de silence.
Vienne une manière de paix sur notre éloignement
enfoui maintenant au coeur du hérisson
et qu'il le dorme et le taise et le protège
comme savent si bien le faire ces bêtes épineuses
et douces par en dessous.
Marie Huot, "La renouée", Contre-allées n°21-22, 2012, p. 20
10:20 Publié dans La poésie des autres
21/12/2012
VISAGE ET LUMIÈRE
Visage de verre et la lumière est prise dans l’épaisseur du grain. Il y a dans l’intérieur du corps heureux comme un jeu mouvement de mobile. On sait qu’il faut regarder, devenir.
Il pleut sur la terre et c’est comme sur un visage. Le bruit tendre heureux de la pluie est comme la conversation d’un regard sans brisure ni rythme de parole. Je me souviens ailleurs de la naissance et du maintien d’un chant religieux haut serré comme une pluie de fin d’été.
James Sacré, Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t’aime, Cadex éd., 2006, p. 38
15:59 Publié dans La poésie des autres
22/11/2012
LES YEUX DANS LA COULEUR
jour dans le jour naissant de soi
et se colorant à mesure
aérien pensif espacé
niant son épaisseur par sa lumière
le fond de l’œil est nu
un appelant au milieu du regard
crie vers l’apparition
histoire immobile
elle s’enfonce en nous
repoussant les images
même la mort s’en va
au loin suspendue un instant
nous ne regardons plus nous rencontrons
Bernard Noël, Les yeux dans la couleur, P.O.L., 2004, p. 109
23:32 Publié dans La poésie des autres
25/10/2012
LA FACE DE L'ANIMAL
Il s’agit d’un livre dédié à la cause animale. Dans une longue préface émaillée de références, Matthieu Gosztola explique le sens de sa démarche. Mépris de l’homme pour l’animal, barbarie, indifférence. Comment chacun d’entre nous peut-il [...] faire preuve de la plus grande cruauté qui soit envers les animaux ? Tout simplement parce qu’il considère qu’étant autre, l’animal n’a pas de visage. Ce qui justifierait le fait que l’on peut mettre à mort un animal impunément. Les vers sont en apesanteur sur la page, posés ça-là, comme des plumes venant caresser un visage. Visage de l’animal personnifié par Matthieu Gosztola, lequel s’adresse à un être familier qu’il côtoie. Je suis pris à l’intérieur / Du conte de tes yeux. […] L’amour c’est quelqu’un qui est dans notre regard / Avec la joie de la lumière. […] Ton visage / A fait un enfant au silence. La douleur est là aussi, comme quelque chose d’aussi léger que la détresse au fond des yeux de l’animal. On parle sans hausser la voix de la douleur / Comme si le monde / Était ce qui vient d’être effleuré. Il s’agit d’un recueil d’une grande sensibilité.
Matthieu Gosztola, La face de l’animal, Éditions de l’Atlantique, 2012
09:38 Publié dans Chroniques
21/09/2012
TOMBÉ
L’écriture de Valérie Harkness se reconnaît par cette douceur dans la voix qui module des paysages de tendresse dans un décor atone blanc et froid, celui d’un hôpital où hommes et femmes se fondent dans les tissus, ailleurs, si loin de la vraie vie, de l’autre côté du mur. Valérie Harkness est à la recherche de ce supplément d’humanité qui va toucher juste la corde sensible de l’âme, empathie pour ces hommes et femmes relégués à l’arrière-plan de la vie par la maladie, la vieillesse. N’être les yeux de plus personne / N’être la vie de plus personne // Perdre le poids du souffle / le pousser par le tube / le faire couler par le sang / débarouler par des silences // Comme des morceaux invisibles de vie des autres / pendus à l’air de tous // N’être personne / plus. Valérie Harkness veut pousser plus loin la limite du regard, poser les yeux sur ceux que l’on ne voit pas, éprouver leur ressenti, car ils sont un peu d’elle-même, sans doute. Eux voudraient regarder par-dessus le mur, être avec la vie / des autres gens qui savent, mais ils s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas, car leurs yeux ne savent plus voir, ils sont restés derrière le mur. Jusqu’où va l’empathie ? Jusqu’au désir de changer de peau, d’être cet homme ou cette femme ? Toucher la peau qui m’appartient / qui colle / sans bouger / pendant que le corps me prend. Le « ils » laisse place au « je », le recueil se termine par un amalgame les cerveaux mêlés les uns aux autres comme des histoires / qui commencent tout le temps.
Valérie Harkness, Tombé, Éditions de l’Atlantique, 2011
09:38 Publié dans Chroniques