07/03/2014
TALISMAN
PRÉFACE
L’enfance vient souvent visiter le présent de Valérie Canat de Chizy pour rappeler son désarroi, ses peurs, ses démons, mais aussi ses espoirs, ses rêves infinis : la vie est un rêve perpétuel / demain demain demain.
Ce rêve permanent permet d’écouter les murs, d’intercepter des signaux, d’imaginer des rencontres avec des êtres capables de trouver le langage approprié, de nourrir un échange chaleureux : Indiens (leur regard te parle), Dogons, ou hommes préhistoriques, dont l’ocre des peintures rupestres s’incruste /dans les plaies /du temps.
Mais le rêve n’est pas que l’attente passive des éclairs qui ébranleront les jours. Il révèle aussi cette force vitale qui nous met parfois en mouvement pour traverser d’épaisses forêts, débroussailler, chercher pour soi un espace vacant, qui donnera lieu à une véritable rencontre. En cet espace, le poème peut prendre racine, même s’il est semé sur la terre dure, et alors proclamer la joie. En cet espace, le poème a les vertus d’un talisman.
je ne dis pas l’absence
mais le plein
boursouflure de pâte
le levain monte
On ne peut qu’être attentif et sensible à cette voix qui, au fil des recueils, prend une belle revanche sur le silence.
Marie-Ange Sebasti
09:23 Publié dans Recueils parus
31/01/2014
COMME J'AI BESOIN
Mon coeur ce sont les questions de l'enfant
Le lait du manque
Les miroirs du sang de l'oiseau
Un cimetière d'un pigeon domestique
Comment établir une trêve avec mon coeur
Comme ma chanson a besoin
de porter les plumes de l'âme
Comme mon épouse a besoin de se préparer
pour la braise de ma lèvre
et les feux de mes doigts
Et moi comme j'ai besoin
d'ouvrir
avec la lumière les fenêtres
de mon coeur pour la journée
Tarek Al Karmy, "Comme j'ai besoin" in Poésie de Palestine : anthologie rassemblée par Tahar Bekri, Al Manar, 2013
19:47 Publié dans La poésie des autres
01/01/2014
Stolons
Ne plus exister qu’à soi-même
Chercher l’indifférence à l’autre
Pour mieux résister… Mais à quoi ?
Faut-il s’exiler disparaître
Sans se lasser de n’être plus ?
Plus qu’un avers décoloré
À l’œil vitreux au souffle court ?
Non. L’enjeu est de faire face
Et d’avoir un regard-aimant
Seul et unique dénouement
Gérard Gâcon, Stolons. Jacques André éditeur, 2013
18:23 Publié dans La poésie des autres
23/11/2013
VOUS ÊTES MES AÏEUX
Cécile Guivarch marche sur les traces de ses ancêtres, dans une quête généalogique, guidée par le désir de connaître ces êtres, hommes, femmes, enfants qui l’ont précédée, de savoir qui ils étaient, comment ils vivaient. Ces hommes et ces femmes qui vivaient avant elle, de la lignée desquels elle est issue, viennent hanter ses rêves, habitent son présent. vous êtes mes aïeux / vous vivez dans mon corps / circulez dans mon sang / vous dansiez dans ma tête / avant même ma naissance / tout ce que vous taisez. Extraits de lettres, d’archives, viennent témoigner, des dates sur un état civil, des recherches sur les conditions de vie de l’époque, vos maisons à dormir tous blottis / le four à pain l’eau dans les tonneaux. La sève continue de couler dans l’arbre généalogique, le sang circule, porteur de mémoire, des blancs demeurent entre les branches. Des noms de rues, des prénoms, s’égrènent, sur les photographies en noir et blanc, la dureté du regard s’adoucit. Des pages à imaginer, tenter de reconstituer les champs le blé noir / le lin les pommes de terre / le bouillon dans vos assiettes / vous n’en disiez rien / vos peurs à déranger / vos blessures à guérir. Conditions de vie, donc, mais aussi états d’âme, émotions, ressentis, sont évoqués, reconstituant le portrait de personnes disparues. Je reste longtemps / regarder mon arbre / ce qu’il a de feuilles / remue ensemble avec moi.
Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux, Éditions Henry, 2013
18:05 Publié dans Chroniques
29/10/2013
CETTE PARCELLE INEPUISABLE
Marie-Ange Sebasti nous offre un recueil pétillant et frais comme un verre de limonade. Pas de pesanteur dans ces textes, où l’enfance est convoquée à tous les étages. L’enfant du recueil, c’est le poème, celui qui pique de courtes mais violentes colères, qui trépigne d’impatience pour sortir. Un enfant turbulent qui démonte les lucarnes / et défie les étoiles / sans jamais grandir en sagesse. L’enfant, le poème, permet au regard de se perdre à l’horizon, de dialoguer avec les anges. Il est une invitation à un voyage aux quatre saisons des déserts ; les mots naviguent autour du monde, s’assoupissent au cours de longues escales, puis reviennent à quai, la peau hâlée. Marie-Ange Sebasti explore avec beaucoup de malice cette parcelle inépuisable qui permet une échappée belle, et de s’affranchir du gris des jours et des peurs du passé. Son recueil prend délibérément le parti du bonheur. J’exerce mes pinceaux / à rattraper la joie / sur la ligne de fuite. Retrouver son cœur d’enfant, c’est aussi ne pas se prendre au sérieux, conserver un brin de fantaisie et de légèreté. On ne se lasse pas de ces images où s’exerce l’imagination, ni de ces souvenirs du jardin du Palais-Royal où une nuée d’enfants migrateurs / virevoltait. Un beau recueil.
Marie-Ange Sebasti, Cette parcelle inépuisable, Jacques André éditeur, 2013
19:08 Publié dans Chroniques
02/10/2013
AU COEUR DE LA ROYA
Monastère de Saorge. Crédit photo : Paul Silici
Françoise Siri a écrit ce recueil au cours d’une résidence d’écriture dans le monastère de Saorge, petit village médiéval à flanc de colline des Alpes maritimes, au cœur de la Roya. Les premiers textes s’attachent à dépeindre la montagne qui porte le village, la roche, le pavé italien, à les rendre vivants. Les images convoquent les sens pour doter de vie le paysage : sur le rocher la verte agreli a le goût acidulé de l’enfance. L’église et le cloître sont dépeints : partout des mains / Des mains offertes des mains ouvertes, des anges et une croix. Les murs du couvent sont ornés de fresques à moitié effacées, d’un gros médaillon tendre comme un biscuit / Rose guimauve et vert anis ; les fresques sont en lambeaux, la peinture, délavée, effacée par les âges ou par la main de l’homme. Les personnages de ces fresques sont défigurés et ici, c’est la souffrance qui perce, La fresque saigne blanc. Plus loin sont évoquées les veuves du village, et c’est la mémoire qui resurgit, celle d’avant la guerre, avec les scènes de bal où les filles dansaient pour trouver un mari. Au cœur de la Roya a la saveur des biscuits d’antan au goût délicat et tendre, friables comme les vestiges du passé.
Françoise Siri, Au cœur de la Roya, Éditions Henry, 2013
10:08 Publié dans Chroniques
30/08/2013
JOUR
« Jour » se présente comme une succession de tableaux, fragments du point de vue ou du monologue intérieur d’un narrateur qui décrit ce qu’il voit, se souvient du passé, ou s’adresse intérieurement à la femme qui l’a quitté. C’est le même « Je » qui s’exprime, que ce soit pour évoquer un homme endormi sur le sol, la ville où se répand le bruit / sourd des quotidiens / mécaniques, ou pour revenir sur sa vie d’autrefois, sur le visage de la femme aimée, qui lui a échappé. La frontière entre le narrateur et les hommes sur lesquels il porte son regard est ténue, tant ils semblent aussi perdus, démunis et dénués de perspective les uns que les autres. Cette focalisation est un prétexte pour évoquer les corps empêchés, les vies frappés d’amnésie. Ce matin le ciel / ne s’ouvre pas / et la peur sourd / des murs. Pour le narrateur, l’ouverture, même sans issue, est dans le passé, sans cesse ressassé. Dans le souvenir des enfants d’Amérique des années trente dont les photographies ont hanté la vie d’écolier. « Jour », finalement, se termine par une échappée, sur le port où le vent fouette le visage. Je bois jusqu’à plus soif la lumière / du jour.
Jean-Jacques Marimbert, Jour, Éditions Les Carnets du dessert de lune, 2013
10:26 Publié dans Chroniques
29/06/2013
CETTE PARCELLE INÉPUISABLE
Bientôt crépiteront
des mots déconcertants
sur la laine de mes tapis
Des appels impatients
ébranleront toutes mes portes
Des colères violentes
mais courtes voleront
au jardin son silence
Bientôt l’enfant de ma maison
après son long sommeil
m’éveillera
Marie-Ange Sebasti, Cette parcelle inépuisable. Jacques André éditeur, 2013
13:44 Publié dans La poésie des autres
14/06/2013
PASSANT L'ÉTÉ
Ce soir les rires roulent sur la plage. On les entend tomber des gorges avant de s’évanouir. Ils ne ressortent pas mais leur écho traîne encore quelques secondes. Quelques secondes bien mûres pendant lesquelles la légèreté se répand sur les doigts. Quelques secondes trop juteuses. Quelques secondes que l’on dévore comme de petits matins sucrés. Et frais. Délicieusement fragiles.
La nuit est claire. Le feu crépite. La fumée nous pique les yeux. On est repu.
Jean-Baptiste Pedini, Passant l’été. Cheyne éditeur, 2012, p. 17
18:55 Publié dans La poésie des autres
26/05/2013
PLUS TARD, ENCORE
peu à peu le monde
est venu sur les lèvres
venu des mots du dedans
venu des mots du dehors
les lèvres sont
lisières
clairières
orée de la forêt des mots
peu à peu le monde
est venu
visage
et d’autres visages
(et le verbe embrasser
est revenu
du brasier du monde)
Michaël Glück, Plus tard, encore, pré # carré, décembre 2012
10:33 Publié dans La poésie des autres