23/05/2008
PINOCCHIO
Tu as un sein plus grand que l'autre
C'est toujours ma gauche chez toi
Lorsque tu fais mentir ton coeur
Comme un grand nez de Pinocchio
Qui me sort souvent par le dos
Pour faire un pied de nez au monde
Quand terriblement tu me manques
Et que je t'enlace si fort
Tu as un sein plus grand que l'autre
Ma chérie C'est ma gauche en toi
Tu vas boiter de la poitrine
Et trébucher à chaque marche
Lorsque tu fais mentir ton coeur
Qui redevient terre d'amour
Et qu'on ne peut plus rien se dire
Comme si nous étions en guerre
Tu as un sein plus grand que l'autre
Et nous boitons de la poitrine
C'est toujours à gauche chez nous
Même quand on nous tire à droite
Lorsque tu fais mentir ton coeur
Notre grand nif de Pinocchio
Et nous boitons de la poitrine
Avec ton sein plus grand que l'autre
El Mehdi Chaïbeddera, Coeur gaulé, supplément au Rétro-viseur n°97 (2004)
16:38 Publié dans La poésie des autres
22/05/2008
UNE ÉTOILE TIRE DE L'ARC
Toutes les brebis de la lune
Tourbillonnent vers ma prairie
Et tous les poissons de la lune
Plongent loin dans ma rêverie.
Toutes ses barques, ses rameurs
Entourent ma table et ma lampe
Haussant vers moi des fruits qui trempent
Dans le vertige et la douceur.
Jusqu'aux astres indéfinis
Qu'il fait humain, ô destinée !
L'univers même s'établit
Sur des colonnes étonnées.
Oiseau des Iles outreciel
Avec tes nuageuses plumes
Qui sais dans ton coeur archipel
Si nous serons et si nous fûmes,
Toi qui mouillas un jour tes pieds
Où le bleu des nuits a sa source,
Et prends le soleil dans ton bec,
Quand tu le trouves sur ta course,
La terre lourde se souvient,
Oiseau, d'un monde aérien,
Où la fatigue est si légère
Que l'abeille et le rossignol
Ne se reposent qu'en plein vol
Et sur des fleurs imaginaires.
Une étoile tire de l'arc
Perçant l'infini de ses flèches
Puis soulève son étendard
Qu'une éternelle flamme lèche,
Un chêne croyant à l'été
Quand il n'est que l'âme d'un chêne
Offre son écorce ancienne
Au vent nu de l'éternité.
...
Une étoile tire de l'arc... Une étoile tire de l'arc... Une étoile tire de l'arc
Jules Supervielle, Gravitations, NRF Poésie/Gallimard, 1994, p. 98-99
20:59 Publié dans La poésie des autres
PALPITATIONS
Ce qui couve
Au centre
Est comme
Une seconde naissance
Qui émet
À l'intérieur
Ses premiers signes de vie
Cela s'agite
Donne parfois
De petits coups de talon
Cela gargouille
Et quand la voix
S'élève
Cela vibre et résonne
Comme un enfant
Qui palpiterait au-dedans.
La mer, peut-être, Encres vives, Collection Encres Blanches n° 268, 2006
16:23 Publié dans La poésie des autres
CÔTÉ JARDIN
Romain Fustier tient la chronique saisonnière d'un jardin, celui que l'on cultive, mais aussi celui que l'on porte en soi. L'absence de majuscules et de ponctuation, la régularité des vers transcrivent une succession d'impressions croquées sur le vif. Le jardin est le lieu où l'on est en prise directe avec les éléments ; les saisons s'y succèdent, l'été s'en va dans la brouette d'hortensias aux / fleurs fanées qu'on débarrasse ainsi sécateur / sorti un dimanche de rentrée. Novembre amène la pluie et la boue, son poids de mémoire historique, façons d'arbres ce ne sont plus rien que des / que j'observe sur l'almanach vivant du jardin / dans la lésine des feuilles tombées de l'hiver. La vie du jardin se répercute sur la vie intérieure. En été, on y savoure la douceur du soir : la lune se penche sur le noisetier il fait / un temps à boire un thé sur la terrasse une / nuit d'août mais nous sommes en juillet et / ce sera un sirop de fruits rouges que nous / dans la douceur du soir finalement boirons. La culture est ici à prendre dans sa double acceptation : culture de la terre, des plantes, mais aussi lecture ou écriture, que faire s'il pleut dimanche délaissant le jardin / nous retrouverons nos papiers sur la table en / bois dévoré par des vers qui font de petits trous / dans le réel en s'alignant dans des carnets des / blocs qualité vélin surfin quatre-vingt grammes. Rêverie, parfum de thé au jasmin et de la gelée de coing, arômes, plénitude de l'errance, c'est aussi cela que l'on trouve côté jardin.
Romain Fustier, Côté Jardin, Encres vives, Collection Encres Blanches n°258, 2006
Chronique parue dans Verso n° 130 (sept. 2007)
12:20 Publié dans Chroniques
21/05/2008
MUSIQUE ET LUMIERE
Le premier accord est une déchirure d'espace
D'un geste nous voilà si loin de ce temps
Avec l'immensité des déserts ouvrant sur une mer immense
Ô mémoire, enfance pleine de mirages
L'aridité scintille
C'est du crépuscule à l'inconnu un cortège de présences et de souffles
Où toute chose prend un écho divin
C'est l'heure de l'univers comme harmonie de mystères
***
Souffle sans fin souffle d'au-delà des âges
Bivouac du vent dans les roselières
Souffle porteur des limons du temps
Et pourtant chant d'un esprit pur
À l'aube de lui-même
Une plainte recompose un siècle dispersé
Les frissons du sable
L'attente de l'eau
Une torche dans la nuit
André Velter, L'arbre-seul, NRF Poésie/Gallimard, 2001, p. 68-69
14:52 Publié dans La poésie des autres
LYON
Lyon,
Ville aux facettes
Multiples
Se réverbérant
Dans les vitres
Bords de Saône
Le soleil
Haut
Sur le cadran
Jonglent les parures
Ocres, jaunes, roses
Des immeubles
Lyon,
Tes cathédrales
À la fraîcheur
Apaisante
Tes pavés
Inégaux
Dans les ruelles
Calmes
Tuiles vues
Depuis la colline
Jardins secrets
Aux plantes grimpantes
Et jeux d'enfants
Lyon, à jamais
Coeur
De lion
12:05 Publié dans La poésie des autres
ECRIRE SUR LE VENT
Pour écrire sur le vent
Je voudrais
Des mots tracés
De vos mains
Des pots de peinture
Jetés par flaques entières
Paroles de lumière
Laisser dans mon dos
Les courbes arquées
Des araignées
Les fils tous les fils
Courroies
Liens
Ligaments
07:00 Publié dans La poésie des autres
20/05/2008
CELA
Cela, qui se dit
Sans émoi
Sans palme de profondeur
Sans algue de torpeur
Sans que ce soit
Là
Le dit
En apesanteur,
Dans l’heure
Bleue
Les effluves
Qui bercent
Barque ensevelie
Sous les sédiments
Le silence
De mondes enfouis
Au fond
De l’heure
Verte
Dans laquelle gît
Celle
Oubliée, hantée
Dans son linceul
De vase,
Cela,
Est-il vraiment
Toi
19:05 Publié dans La poésie des autres
19/05/2008
LA BEAUTE QUI NOUS EST DONNEE
Un chant
multiple et sans nom
coule vert
je suis libre et houle
***
Grande rumeur au coeur
la pierre roule sur le sel
aux pieds faillés
s'esclaffe la vague
***
Méditation de la mer
tout le long des heures
coup de tonnerre
ressassée écumée la grève
***
Comme les grains
d'un chapelet
s'agrandit le chant
dans l'espace en soi
ouvert
Anne-Lise Blanchard, La beauté qui nous est donnée, Eclats d'encre, 2004
20:10 Publié dans La poésie des autres
17/05/2008
FLEUVE
Je pose mes mains
Bien à plat sur le marbre
Pour m'imprégner de ses veines,
Respirer en même temps
Que le fleuve
Qui ne s'arrête jamais.
21:42 Publié dans La poésie des autres