29/07/2008
LA NUIT ME PARLE DE TOI
La nuit me parle de toi
elle ne me donne pas de rêves
pleins de femmes transparentes
mais elle m’apporte ton image
afin que ton absence
ne m’étrangle pas tout à fait.
Elle voit avec scandale
que je n’ai pas ton corps entre mes bras
et elle allonge près de moi
le fantôme de ta peau.
[…]
Je t’ai prise avec le gant
des mots de la plus douce soie
afin que tu ne discernes pas
le poids de l’ombre de ma main
la première fois qu’elle t’a touchée
mais mon sang est en elle
qui dissout l’approche du tien.
[…]
Je n’ai pas à t’aimer
je regarde et je brûle
un million de soleils tomberaient à la cendre
si tu venais soudain.
Je ne vois rien
je ne sais plus
si tu ôtes mes yeux
ou si tu les emplis.
Alain Borne, La nuit me parle de toi, trident neuf éd., 2006
15:16 Publié dans La poésie des autres
25/07/2008
JE CHERCHE...
Je cherche la douceur enveloppée de linge
humide encore du bain de lessive
Le soleil n’était plus visible
dans l’éblouissement de la pluie
Ce soir le ciel est sans lune seules quelques étoiles
Le silence semble laver le travail des jours
La patience des ongles blancs démêlant les reflets
De la porte où commence l’autre rive
12:37 Publié dans La poésie des autres
21/07/2008
TOMBOUCTOU LIVRE ET SABLE
Tu étais l’inaccessible
la ville aux trois cent trente-trois saints
aux sept portes d’or
fermée à l’étranger
la rigoriste la rebutante
tu cachais ton patrimoine de manuscrits
le laissais se détériorer
les vendais les dispersais
Ô que d’outrages à tes Lumières
Ô vestiges de ta splendeur
du temps des Askia
quand on accourait
du Nord et de l’Est
pour recevoir l’enseignement
d’Ahmed Baba
Michel et Geneviève Vidal, Tombouctou : livre et sable, Jacques André éd., 2006, p. 9
Voyage effectué en janvier 2006. Michel Vidal : photographies, Geneviève Vidal : poème.
11:00 Publié dans La poésie des autres
17/07/2008
LE SOLDAT MORT
Je fais et défais le soir, la nuit distribue ses spectres, et de ma fenêtre voilée je me rêve descendant les jardins de la vieille église, je me situe régnant sur les pierres, je suis le soldat mort.
Olivier Deschizeaux, Le soldat mort, Rougerie, 2007, p. 9
Olivier Deschizeaux est un jeune poète lyonnais. Je l’avais rencontré très brièvement il y a quelques années, au moment de la sortie de son premier recueil de poèmes, La chambre close. Sa poésie porte le sceau de la nuit, du corps marqué au fer rouge, de la mort aussi, dans un univers familier, la ville, qui pourtant se transfigure par le biais du fantastique, du rêve. Le soldat mort est un recueil fort dans lequel l’auteur explore les tréfonds de l’obscur.
16:05 Publié dans La poésie des autres
15/07/2008
ÉCHELLES
J’ai perdu mes repères et je ne me suis pas perdue. J’ai noué des foulards les uns aux autres, un de chaque couleur, et je me suis jetée dans le vide, depuis la fenêtre du sixième donnant sur la cour intérieure. J’ai atterri souplement sur le quai de la gare désertée en cette période estivale, une grosse berline gris métallisé paradait devant les voies du départ, aucun train n’est venu, mais je n’étais pas là pour ça. Je me suis souvenue que j’avais le droit d’exister, après tout, et je me suis demandé jusqu’où l’on pouvait se permettre d’être soi-même sans aller à l’encontre de l’autre, s’il y avait finalement des règles à respecter pour ne pas être plaqué par la glu du rejet, scotché comme un sparadrap contre le mur. Ce matin, j’ai décidé d’expérimenter et ça s’est mal passé. Je suis partie sans un adieu, j’ai pris la route. À pied.
15:00 Publié dans La poésie des autres
14/07/2008
IL N’EST PAS ÉTOILE
ni inspiration prophétique
ni visage prosterné devant la lune
Le voici qui vient comme une lance païenne
dévastant la terre des lettres
répandant son sang
élevant vers le soleil ses blessures
Voyez-le revêtant la nudité des pierres
adressant sa prière aux cavernes
Voyez-le étreindre la terre légère
J’adore cette pierre paisible
J’y ai vu mon visage dans ses veinures
J’y ai vu ma poésie perdue
Adonis, Chants de Mihyar le Damascène, Poésie/Gallimard, p. 42 et 63
20:25 Publié dans La poésie des autres
12/07/2008
NEPTUNE MAMBO
Neptune Mambo est à la fois un cri et un chant. Les textes qui le composent sont habités par le souffle de la passion et l’ardeur de vivre. Thierry Renard est un poète de l’amour fou qui met son cœur à nu : Maintenant j’écris et je crie ton nom partout / J’écris surtout de toi sur toi pour toi / J’écris enfin pour vivre / Pour ne pas mourir / Ne jamais renoncer. Comment sortir indemne d’une telle lecture ? Il y avait tes yeux bleus / Et l’éclairante beauté de son sourire / Nous nous étions toi et moi / Perdus de vue durant plusieurs heures / Je ne savais même plus sereinement te regarder / Je ne voyais que le feu / Qui peu à peu se consume en chacun d’entre nous / Qui violemment devient flamme / Là où naissent tous les incendies. La poésie est ici un combustible, avec la révolte – c’est dans l’adversité que l’on se révèle que l’on se réveille, et l’amour. Les textes ont été écrits pour être lus, et la forte présence de l’oralité leur confère une puissance, une proximité, ainsi qu’un côté immédiat. Leur poétique est celle de l’emphase, de la répétition : L’art de la répétition est un art bien singulier / Car moi si j’écris c’est pour tout dire / À voix haute / Pour tout dire et son contraire. Même si Rien n’est exact rien n’est parfait, même si Vivre est tout le temps paradoxal / Au plein bonheur toujours succèdent / Les pires peines, ce qui compte, sans doute, c’est le présent, à vivre intensément : Et laissons l’instant durer / Et laissons l’instant durer / ET LAISSONS L’INSTANT DURER .
Thierry Renard, Neptune Mambo, Éditions Bérénice, 2006
Chronique parue dans la revue Verso n°127 : La lumière ou l’art de la chute, déc. 2006
RIEN N’EST EXACT RIEN N’EST PARFAIT
Rien n’a de sens
Ou n’est exact
Tout est divers
Le feu dans l’âtre crépite
Le feu dans l’âtre siffle
Je le regarde me consumer
Vivre est tout le temps paradoxal
Au plein bonheur toujours succèdent
Les pires peines
[...] p. 69
01:25 Publié dans Chroniques
08/07/2008
NOUS VOUDRIONS
Nous voudrions emplir nos besaces de coques de châtaignes d’écorces de noix de mûres nos bras griffés noirs des vendanges les grains éclatant au fond de la cuve la fraîcheur des celliers quand dehors le raisin se désagrège encore de mûrir le vin aura la couleur d’une belle feuille d’automne chaude des derniers rayons nous marcherons à l’ombre des tilleuls chuchotant de peur de troubler la quiétude cet instant privilégié même les murs semblent pensifs nous oublierons nos petits tracas grands comme des maisons grandissant à l’intérieur de nous si faibles que nous sommes de les tenir à distance parce que c’est toujours nous le bleu marquant nos bras le violet sur la pommette c’est toujours nous quand l’autre est l’étranger celui que nous ne percevons pas nous avons mis des barrières entre nous afin que chaque souffrance reste intacte à l’intérieur de soi et ne coexiste pas avec celle de l’autre afin que le monde soit une nuée de petites bulles de souffrances détachées les unes des autres et qu’enfin en un essaim les moucherons s’élèvent dans la forêt alors que la fraîcheur tombe
08:10 Publié dans La poésie des autres
06/07/2008
LA COURBE DOUCE DE LA GRENADE
Dans ces pages, Anne-Lise Blanchard évoque des vies quotidiennes où le bonheur fragile côtoie le désastre, celui lié à la perte irrémédiable d’une terre qui a marqué à jamais ceux qui l’ont quittée, dans l’exil : l’Algérie. Nul ne peut imaginer le poids de larmes et de mort supporté par ces milliers de personnes que l’Histoire a condamnées à s’arracher à leurs racines pour rejoindre une terre étrangère appelée France, que d’aucuns ne connaissent alors que de nom. La petite fille de cinq ans se souvient, mais beaucoup plus tard. De l’avant, puis de l’après. Souvenirs d’enfance, du square, des sandales blanches, de la petite chambre pleine et chaude à l’intérieur de soi, quand le beignet est achevé. La famille aussi, et puis ceux que l’on n’a pas vraiment connus, mais dont on a entendu parler, plus tard, bien plus tard. Il y a Claude, ses vingt-hui ans innocents, c’est Pâques, et c’est la première fois depuis qu’il quitte cette bourgade heureuse au nom prédestiné qu’il retourne chez lui, dans la grande ville blanche qui s’élève au-dessus de la mer. Il ne sait pas ce qu’est la guerre. Il découvre les impacts de balles sur les murs, le trépignement des armes, les sirènes, les cris. Il vient retrouver Nicolette, qu’il connaît depuis si longtemps. Nicolette, qu’il ne reverra pas, car elle fait partie des victimes de la radio. Il y a le voyage des anges de ceux qui n’ont pas supporté de rester en vie. Il y a la mémoire du poisson frais ou bien grillé au feu de bois, du vin encore vert, à laquelle se superposent, nuages qui passent, celles du jasmin en treille et des beignets de capucines. Il y a Nedjma et ses tresses épaisses. Et puis, quelque part entre terre grise et ciel gris, il y a Anna, revenue sur les pas de son enfance, celle d’après la séparation. Anna, qui ravale son haut-le-cœur, ou son sanglot, elle ne saura pas. Son regard sur la ligne d’horizon sous le coucher de soleil n’a plus la courbe douce de la grenade.
Anne-Lise Blanchard, La courbe douce de la grenade, Cahiers bleus / Librairie bleue, 2006
(Verso n°130)
12:00 Publié dans Chroniques
02/07/2008
SOUS-BOIS
filtre la lumière
et laisser le calme
infuser chacune
de nos parcelles
mêlées de terre et d’eau
à travers nous
tresses de légèreté
descendent sur nos têtes
à nos pensées
dans le sous-bois
23:45 Publié dans La poésie des autres