02/06/2008
FERME
Ferme les agrafes
de ton corset
afin que toujours
droite
tu avances
irréprochable
bien
comme il faut.
13:45 Publié dans La poésie des autres
LA GIFLE
depuis si longtemps
écrire pour défricher
comprendre
cet anéantissement
pulvérisation sans nom
rouleau compresseur
c’était un matin
assise au milieu de mes jouets
de la bouche ouverte de maman
nul son ne sortait
il y eut la gifle
pour ne pas entendre
13:34 Publié dans La poésie des autres
01/06/2008
MOMO (SUITE)
Je suis chez Momo, ma grand-mère chérie, à l'époque où elle vivait encore dans son grand appartement de Tassin. Elle est enfoncée dans son fauteuil ; ses cheveux lui tombent dans la figure ; elle a un serre-tête qui ne tient pas et pend lourdement sur son front. La télé braille. Image de dénuement moral, de laisser-aller.
J'ai envie de lui redonner vie, de lui rendre son physique pour qu'elle se sente exister, car elle n'a plus conscience de son corps. Commence le lavage, dans la salle de bain mal éclairée, aux murs et au sol grisâtres. Je lui mouille délicatement la tête et lui masse le cuir chevelu avec un shampooing Dop aux oeufs dont l'odeur m'est familière : c'est celle des shampooings de mon enfance. Je lui applique ensuite une deuxième crème, susceptible de donner un joli reflet argenté à sa chevelure.
Après le lavage, je l'installe sur une chaise dans la cuisine claire qui donne sur la ville. Avec des ciseaux, j'entreprends de rafraîchir sa coupe. Je tente un dégradé le long de la nuque, un plongeon sur les tempes ; j'élague la frange. Elle a les yeux fermés, heureuse d'être l'objet de soins ; elle ne cesse de me répéter que je suis une perfection.
Avec un sèche-cheveux, je commence un brushing. Je la coiffe avec une brosse ronde, donne du volume à sa coupe. Je vaporise la laque. Elle a toujours les yeux fermés. Je lui parle tout en la coiffant.
À l'aide d'un coton, je lui nettoie le visage, enlève les brins de cheveux ; je la maquille.
Je lui tends une petite glace dans laquelle elle se mire.
(2001)
22:20
MOMO
Je suis passée à Tassin dans le supermarché où je faisais les courses de Momo, ma grand-mère. Elle habitait au dernier étage d’un immeuble, à quelques rues de là. C’est tout un pan de ma vie qui revient. Il me faudrait des pages et des pages pour raconter. Momo, si démunie, chez qui je venais sonner en pleurs en pleine nuit, ayant quitté ma chambre sous les toits et pris le premier bus pour fuir l’atroce solitude. En souvenir, sans doute, j’ai acheté du chocolat blanc aux amandes et abricots, et je le savoure, carré après carré, jusqu’au dernier. C’était cela, aussi, le placard rempli de sucreries que j’ouvrais à peine arrivée. Nous nous délections devant la télévision, les tablettes posées sur les napperons de dentelle, au milieu de tout un bric-à-brac, dé à coudre, lunettes, télécommande, programme TV, articles découpés, bibelots, vieilles photos jaunies sorties des armoires… Enfin, je trouvais quelque réconfort.
31 mars 2008
21:50
LE LION
Le lion gisait sur le flanc, les yeux ouverts, la tête appuyée contre l'herbe. Il semblait attendre que Patricia vînt s'allonger contre lui une fois de plus. Et Patricia, qui n'avait pas encore appris qu'il existait une fin aux jeux les plus beaux, à l'être le plus précieux, Patricia se pencha sur King, voulut soulever la patte tutélaire. Mais la patte était d'un poids sans mesure. Patricia la laissa retomber. Elle tendit alors une main vers les yeux d'or, vers celui qui, à l'ordinaire, semblait rire et cligner. L'expression du regard n'avait plus de sens, plus de nom.
Joseph Kessel, Le lion, Folio Gallimard, 1986, p. 234-235
J'ai lu Le lion de Kessel au lycée, à l'internat. Dans le dortoir, lumières éteintes après 22 h, sous les couvertures, une lampe de poche dans une main, le livre dans l'autre, j'avais du mal à étouffer mes sanglots. Aujourd'hui, mon exemplaire est jauni et corné, mais il est toujours là, dans la bibliothèque bancale. Souvenirs...
10:15 Publié dans La poésie des autres
31/05/2008
SOIT
Soit, rester en deçà
Comme feuille
De ci, delà,
Soit, habiter la faille
Prolongeant l'incertitude
Soit, vibrer d'émotion
Sous apparat de silence
Soit, s'inventer une vie
Se mouvant dans la prescience
Soit, accepter d'être chair d'absence
D'être détachée Sans expérience
De ne vivre que Par résonance
De s'effacer Dans la vacance
Échos, Encres vives, Collection Encres Blanches n°232, 2006
20:17 Publié dans La poésie des autres
CETTE PRÉSENCE
Le temps change.
Panier de cerises
la lumière s'assombrit
enfin
un éclat radieux.
Une poignée de porte
un entrebâillement
c'est là, dans
cette place vacante
nous ne l'avions pas vue
cette présence.
16:55 Publié dans La poésie des autres
ODE SUR LA MÉLANCOLIE
Elle est où demeure la Beauté, la Beauté qui doit mourir ;
Avec la Joie aussi, dont la main se porte aux lèvres
En un éternel adieu ; elle est proche du plaisir lancinant
Qui se change en poison le temps que la bouche, cette abeille, aspire le nectar :
Oui, au temple même de la Félicité,
La Mélancolie voilée a son sanctuaire souverain,
Visible toutefois seulement à qui, d'une langue puissante,
Sait faire éclater sur son fin palais les raisins de la Joie ;
Son âme amèrement goûtera le pouvoir de la déesse,
Et parmi les nuageux trophées sa dépouille sera suspendue.
Keats, Poèmes choisis, éd. bilingue, Aubier-Flammarion, 1968, p. 301
Souvenirs...
13:01 Publié dans La poésie des autres
30/05/2008
L'HÉCATOMBE DES ORMES
Le sang des baies noires des sureaux
une fois peignées dans la haie, récoltées
dans le panier aux pailles calfeutrées de papier journal
à la page des faits divers et crimes,
la page aussi des accouchements aux placentas roses,
le sang des baies dirigées vers le sud
saisit le visage du cueilleur comme
le faisait une bille d'enfant autrefois,
comme c'est encore le cas sur les perles des couronnes
que peignit Van Eyck.
Le sang des mûres sur ta bouche, mon Jeune Homme,
à l'époque très lointaine où
comptaient les soleils les miels
et les odeurs de l'herbe endormie,
le sang dans ma poche
comme s'il y pleuvait des flots, des tiges
de sang en verre fragile de sang d'oiseau,
de sang volant glissant sur l'air,
de sang dans le creux de la main
que l'on boit pour mourir,
et dans ce vent, partout dans ce vent
comme nous prendrions un bain chaud d'oubli.
Jean-Louis Rambour, L'hécatombe des ormes, Éditions Jacques Brémond, 2005, p. 32
22:05 Publié dans La poésie des autres
CE PEU DE RIEN
Ce peu de rien
au creux du monde
Hamac aux filets vides
Pour enserrer quel présent
La fleur de corail
agrippée aux parois
de l'estomac
Tout est rugueux sur la pierre
sédiments
de coquilles
la main s'écorche en vain
aux accrocs du silence
13:07 Publié dans La poésie des autres