10/04/2012
DANS UN CORPS ZÉRO CONTOUR
Dans un corps zéro contour, l’enfance est. Qui se tient derrière la porte / et veut boire / et venir ?Chuchotis de l’été. Tilleul / poussière blanche de feuilles.Géométrie, pesanteur, apesanteur. Son poids nous regarde, / pivot furtif / extrait du ciel. Dans un corps zéro contour, il n’y a pas de circonférence. D’où le vertige. Toi non plus / en tant que centre de gravité / expulsant d’un coup / la colonne majeure. Pesanteur, apesanteur. L’odeur légère des tissus / s’enfonce.Ensuite, le vent soulève nos épaules d’au moins mille mètres. Vertige. Soudain, de la pelote / se dévide / une course en désordre.Écheveau des souvenirs ? mourir essaie mais non se hâte tel un fœtus / d’en reproduire le même son / non pas le creux tambour muet.Marie-Noëlle Agniau est solaire venue comme en automne. Le corps zéro contour est une flaque de poussière, le corps enfant déchu du corps maternel. Venir après pour combler un espace vacant. Chez Marie-Noëlle Agniau, il y a toujours ce poids et à la fois ce vide laissé par la perte d’un frère, jamais connu. Je dois bien arriver à tenir entre l’espace et moi la sorte de lutte qu’il faut mener. Se rapprocher du palpable, par l'acte symbolique. prénom auquel rien ne manque je t’apporte un yaourt. Revenir à l’état d’innocence. Le temps se presse en nous à l’état de peluche.
Marie-Noëlle Agniau, Dans un corps zéro contour, La Porte, 2012
12:55 Publié dans Chroniques
23/03/2012
DU BLEU SUR LES DOIGTS
Vous êtes peut-être
À peine cette silhouette
Dans la lumière de l’été
Qui a du mal à se souvenir
Je vous convie donc à prendre cette main
Quand elle reviendra vers la marge
Soyez de ce qui coule lentement
Dans le blanc
Soyez de ce naufrage
Du dire.
*
Vous êtes avec moi sur le chemin
Vous êtes cette voix
Dictant le poème
Et la main
Si près de la mer
Du bleu
Sur les doigts.
Louis Raoul, Feuille de l’air, Éditions de l’Atlantique, 2011, p. 2, 7.
13:11 Publié dans La poésie des autres
11/03/2012
LES HOMMES SONT DES ARBRES
Les hommes sont des arbres
étranges
les racines enfouies dans leur tête
puisent au terreau des mots
ce qui exhausse leur silhouette
aller là-bas
toujours plus loin
derrière l’horizon
Entre ciel et terre
ils sont
dans l’élargie d’eux-mêmes
le bruissement incessant
de leurs désirs d’humanité
à la rencontre des autres
hommes
arbres étranges
là-bas aux confins
Jean-Louis Clarac, Le vacarme du monde, Éditions de l’Atlantique, 2011, p. 55
17:18 Publié dans La poésie des autres
22/02/2012
LES ÂMES PETITES
S’entrouvre la porte sur le palier
On aperçoit une table deux chaises un buffet
Juste ce qu’il faut
la plage blonde du plancher
On sent une odeur de cire fraîche
de propre
On devine des gestes simples
attentifs
des êtres dignes
dans la rectitude.
Véronique Joyaux, Les âmes petites, Les Carnets du Dessert de Lune, 2011, p. 13
15:49 Publié dans La poésie des autres
08/02/2012
MOUJIK MOUJIK
j'ai
un cheveu sur la lan
gue et un chien
tous les trois on habite
dans le
Bois
dedans
des murs en plas
tique ça claque
l'hiver le vent la nei
ge
on s'accroche aux po
teaux de fer aux clous
aux noeuds des
bois
j'use mes bras à que
ça s'envole pas de
bout
Sophie G. Lucas, Moujik Moujik, Editions des états civils, 2010, p. 9
20:27 Publié dans La poésie des autres
15/01/2012
VEILLEUR DE QUART
Tu poses ton doigt de cristal
Sur la géographie disserte du cœur,
Souffleur de verre où se dispersent les bulles
Le long des jours hésitants
Et des latentes angoisses
Je sens bien que tu es en moi
Ce veilleur de quart qui dérive la houle
Vers la profusion bleue du givre,
L'été, pure radiance des fruits,
Emergence instantanée des plus lourds désirs
Rayonnement dur de la pierre
Dans son scintillement secret.
Silvaine Arabo
Silvaine ARABO, poète, écrivain et plasticienne, dirige les éditions de l’Atlantique et la revue de poésie, d’art et de réflexion Saraswati.
12:21 Publié dans La poésie des autres
27/12/2011
LES JOURS OÚ ELSE
Ce livre est un vrai bijou. J’ai été transportée par ces récits imbriqués, dans lesquels s’entrelacent des contes, la langue bretonne intimement liée au français, se cousant au fil du récit. L’histoire d’Else se lit comme Le ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, sauf qu’il ne s’agit pas de la même histoire, ni des mêmes personnages. Simplement, la manière de raconter, la tournure des phrases, pleines de blancs, ou de mots décalés, opèrent comme un charme. Tout se passe en Bretagne, là où vit et où est née Lou Raoul ; il y a la mère, Solange, le père, et les trois petites. Puis vient Else, qui finalement imprime sa marque au récit. Else est née en février un matin dans une maison de bourg. Une naissance qui n’a pas provoqué d’enthousiasme particulier Une énième fille était née dans une famille qui en comptait déjà trois. Ce sont des bribes de vies, et l’on ne peut s’empêcher de penser que Lou Raoul parle un peu d’elle et un peu des siens dans ce livre. Personnages attachants, avec un univers poétique. Lorsque Solange, la mère d’Else, meurt, c’est le silence, plus de paroles pour parler des fleurs du jardin À présent le silence Non plus pour dire que les cognassiers du Japon commencent à fleurir depuis sept jours. Il y a aussi ce conte à portée philosophique où les villageois occupés à travailler ne savent plus quand est Noël, car l’argent a masqué le temps. C’est le conte de l’enfant bleu, celui qui comprend le langage des oiseaux, et le cœur des artisans occupés à travailler ne retrouve un peu de légèreté que lorsque l’enfant bleu est là. À la fin, Else parvient à changer l’âme noire de sa mère en âme blanche. Else a trouvé sur la tombe une bruyère fleurie déposée contenant une carte avec des mots qui l’attendaient Une autre fois c’est un rouge-gorge si près et qui chante.
Lou Raoul, Les jours où Else, Éditions Isabelle Sauvage, 2011
13:43 Publié dans Chroniques
21/10/2011
INCARNAT
S’approcher jusqu’à perdre souffle
d’une matière vibratoire
la couleur est le cœur la trachée
là où respirer sous la touche du pinceau
affirme la volonté du toucher main tenue
la vie sous la couleur
entre les couches du collage
si près pour être aveugle
à la danse du Printemps voilée de lumière
nue d’être fleur présente à l’éclat du jour
apparaître naître
la femme lointaine révélée
au miroir fascinant de l’autre
si tu touches l’eau elle se referme
tu ne connais les fonds que pour t’y
perdre
et tu ne touches que la distance de l’autre.
Luce Guilbaud, Incarnat, Contres-allées / Poètes au potager, 2011, p. 14
09:32
04/10/2011
LES MOUETTES
Ce soir les mouettes volent vers la mer
laissant le soleil aux lèvres de l’ombre
à l’est le ciel a pressé toutes ses couleurs
et deux nuages oranges suspendus dans le bleu
errent lentement vers la nuit
les mouettes descendent la vallée de l’estuaire
pressentant le point invisible où tout repose
des cris épars ayant étalé le silence
elles s’endormiront du côté de l’aube
Heather Dohollau, Un regard d’ambre, Folle avoine, 2008, p. 44
09:55 Publié dans La poésie des autres
19/09/2011
La proximité de la mer
Brusquement la soirée s’est éclairée
Car c’est la pluie qui, minutieuse, arrose
La rue. Ou l’arrosait. Elle est la chose
Qui sans nul doute a lieu dans le passé.
Qui l’écoute tomber a retrouvé
Ce temps où, merveilleuse, se propose
La vision de la fleur appelée rose,
La couleur rouge et son étrangeté.
Cette pluie qui aveugle les fenêtres,
Dans des faubourgs perdus, doit mettre en fête
Les raisins noirs d’une treille en certain
Patio enfui. Et l’humide soirée,
Me rend mon père, sa voix, si désirée,
Sa voix qui n’est pas morte et qui revient.
Jorge Luis Borges, La proximité de la mer, nrf/Gallimard, 2010, p. 33
09:26 Publié dans La poésie des autres











