22/02/2012
LES ÂMES PETITES
S’entrouvre la porte sur le palier
On aperçoit une table deux chaises un buffet
Juste ce qu’il faut
la plage blonde du plancher
On sent une odeur de cire fraîche
de propre
On devine des gestes simples
attentifs
des êtres dignes
dans la rectitude.
Véronique Joyaux, Les âmes petites, Les Carnets du Dessert de Lune, 2011, p. 13
15:49 Publié dans La poésie des autres
08/02/2012
MOUJIK MOUJIK
j'ai
un cheveu sur la lan
gue et un chien
tous les trois on habite
dans le
Bois
dedans
des murs en plas
tique ça claque
l'hiver le vent la nei
ge
on s'accroche aux po
teaux de fer aux clous
aux noeuds des
bois
j'use mes bras à que
ça s'envole pas de
bout
Sophie G. Lucas, Moujik Moujik, Editions des états civils, 2010, p. 9
20:27 Publié dans La poésie des autres
15/01/2012
VEILLEUR DE QUART
Tu poses ton doigt de cristal
Sur la géographie disserte du cœur,
Souffleur de verre où se dispersent les bulles
Le long des jours hésitants
Et des latentes angoisses
Je sens bien que tu es en moi
Ce veilleur de quart qui dérive la houle
Vers la profusion bleue du givre,
L'été, pure radiance des fruits,
Emergence instantanée des plus lourds désirs
Rayonnement dur de la pierre
Dans son scintillement secret.
Silvaine Arabo
Silvaine ARABO, poète, écrivain et plasticienne, dirige les éditions de l’Atlantique et la revue de poésie, d’art et de réflexion Saraswati.
12:21 Publié dans La poésie des autres
27/12/2011
LES JOURS OÚ ELSE
Ce livre est un vrai bijou. J’ai été transportée par ces récits imbriqués, dans lesquels s’entrelacent des contes, la langue bretonne intimement liée au français, se cousant au fil du récit. L’histoire d’Else se lit comme Le ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, sauf qu’il ne s’agit pas de la même histoire, ni des mêmes personnages. Simplement, la manière de raconter, la tournure des phrases, pleines de blancs, ou de mots décalés, opèrent comme un charme. Tout se passe en Bretagne, là où vit et où est née Lou Raoul ; il y a la mère, Solange, le père, et les trois petites. Puis vient Else, qui finalement imprime sa marque au récit. Else est née en février un matin dans une maison de bourg. Une naissance qui n’a pas provoqué d’enthousiasme particulier Une énième fille était née dans une famille qui en comptait déjà trois. Ce sont des bribes de vies, et l’on ne peut s’empêcher de penser que Lou Raoul parle un peu d’elle et un peu des siens dans ce livre. Personnages attachants, avec un univers poétique. Lorsque Solange, la mère d’Else, meurt, c’est le silence, plus de paroles pour parler des fleurs du jardin À présent le silence Non plus pour dire que les cognassiers du Japon commencent à fleurir depuis sept jours. Il y a aussi ce conte à portée philosophique où les villageois occupés à travailler ne savent plus quand est Noël, car l’argent a masqué le temps. C’est le conte de l’enfant bleu, celui qui comprend le langage des oiseaux, et le cœur des artisans occupés à travailler ne retrouve un peu de légèreté que lorsque l’enfant bleu est là. À la fin, Else parvient à changer l’âme noire de sa mère en âme blanche. Else a trouvé sur la tombe une bruyère fleurie déposée contenant une carte avec des mots qui l’attendaient Une autre fois c’est un rouge-gorge si près et qui chante.
Lou Raoul, Les jours où Else, Éditions Isabelle Sauvage, 2011
13:43 Publié dans Chroniques
21/10/2011
INCARNAT
S’approcher jusqu’à perdre souffle
d’une matière vibratoire
la couleur est le cœur la trachée
là où respirer sous la touche du pinceau
affirme la volonté du toucher main tenue
la vie sous la couleur
entre les couches du collage
si près pour être aveugle
à la danse du Printemps voilée de lumière
nue d’être fleur présente à l’éclat du jour
apparaître naître
la femme lointaine révélée
au miroir fascinant de l’autre
si tu touches l’eau elle se referme
tu ne connais les fonds que pour t’y
perdre
et tu ne touches que la distance de l’autre.
Luce Guilbaud, Incarnat, Contres-allées / Poètes au potager, 2011, p. 14
09:32
04/10/2011
LES MOUETTES
Ce soir les mouettes volent vers la mer
laissant le soleil aux lèvres de l’ombre
à l’est le ciel a pressé toutes ses couleurs
et deux nuages oranges suspendus dans le bleu
errent lentement vers la nuit
les mouettes descendent la vallée de l’estuaire
pressentant le point invisible où tout repose
des cris épars ayant étalé le silence
elles s’endormiront du côté de l’aube
Heather Dohollau, Un regard d’ambre, Folle avoine, 2008, p. 44
09:55 Publié dans La poésie des autres
19/09/2011
La proximité de la mer
Brusquement la soirée s’est éclairée
Car c’est la pluie qui, minutieuse, arrose
La rue. Ou l’arrosait. Elle est la chose
Qui sans nul doute a lieu dans le passé.
Qui l’écoute tomber a retrouvé
Ce temps où, merveilleuse, se propose
La vision de la fleur appelée rose,
La couleur rouge et son étrangeté.
Cette pluie qui aveugle les fenêtres,
Dans des faubourgs perdus, doit mettre en fête
Les raisins noirs d’une treille en certain
Patio enfui. Et l’humide soirée,
Me rend mon père, sa voix, si désirée,
Sa voix qui n’est pas morte et qui revient.
Jorge Luis Borges, La proximité de la mer, nrf/Gallimard, 2010, p. 33
09:26 Publié dans La poésie des autres
31/08/2011
Sur l'épaule de l'ange
Les hommes passaient
à côté d’elles sans les voir.
Modestement agenouillées
dans l’herbe tendre, les roses
étonnées se regardaient
sans comprendre.
Les pensées étaient groupées
dans un coin du jardin,
comme si on avait voulu
les protéger du vent
et des hommes.
Alexandre Romanès, Sur l’épaule de l’ange, Gallimard, 2010, p. 51, 53
20:26 Publié dans La poésie des autres
20/07/2011
LES YEUX ASSIS SUR LA PLAGE
ses lèvres sont des noix de cajou salées par
la mer ses yeux deux olives noires au goût
pimenté que j’apprécie en accompagnement
de son corps voué au vent marin aux digues
qui retiennent les eaux où plonger avec elle
ô ma femme littorale aux seins de vignes en
terrasse sur fond de canigou rêvé dans une
comptine apprise en maternelle ma femme
de migration d’oiseaux survolant les étangs
Romain Fustier, Les yeux assis sur la plage, Éd. De l’Atlantique, 2010, p. 29
21:25 Publié dans La poésie des autres
06/07/2011
HAUTE PLAGE
Ils nous ont engrangés dans l’aurore
donné des ailes
pour traverser les jours
Ils nous ont indiqué l’espace des sittelles
et des aigles royaux
Notre héritage n’est pas forteresse
***
Autour de l’île, ma flottille
battait pavillon d’impatience
dans l’attente
des cargaisons promises
transportées lentement sur ces sentiers rebelles
habiles à dompter
l’incorrigible roc
***
Aussitôt dit
les soleils dénombrés
trouvaient une aire
où reposer leur course
Aussitôt faites
les ombres s’étiraient
volaient la sieste des soleils
Marie-Ange Sebasti, Haute plage, Jacques André éditeur, 2011, p. 7, 8, 12
20:04 Publié dans La poésie des autres