09/01/2017
INFINIMENT PROCHE
dans la bouche d’une étoile
entre l’ébloui et l’englouti
la vie veut sa rosée de nuit
une porte ouverte sur le ciel
où je reviens sans être allé
où je reviens sans être né
*
Je commencerai par être
un verbe
sans limites
un langage
où rien ne serait dit
mais tout pressenti
dans le monde visible
et nulle part ailleurs
un grain de sable
qui dialogue avec les dieux
une élévation
dans l’affection et le bruit neufs
un miracle inouï
sous le soleil de la conscience
je commencerai par être
en devenant ce que je suis
Zéno Bianu, Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas. Poésie/Gallimard, 2015
09:03 Publié dans La poésie des autres
28/10/2016
FIGURES QUI BOUGENT UN PEU
Parfois le plaisir qu'on a est grand (même s'il est un leurre)
À soudain rougir devant le sourire nu du monde.
À cause de ces moments la peur de mourir se perd :
Je vous aime vivants dans le temps qui s'en ira sans moi.
James Sacré, Figures qui bougent un peu. Poésie/Gallimard, 2015
11:42 Publié dans La poésie des autres
22/08/2016
NOUS VIVONS COMME LES FEUILLES
Nous vivons comme les feuilles
avec un peu d'été dans les poches
et le sucre de l'automne sur la langue
Devant les yeux fermés
La guerre ressemble aux feuilles brunes
La mort de loin a parfois
dit-on de belles couleurs
Sur des bogues s'empalent
des abeilles sans courage
La ville froide écaille le lait
jasmin de ses vitres
*
Il y avait des hommes
qui prenaient soin des bêtes
moins pour leur force et leur sang
que pour leur présence
leur regard qui met en ordre le monde
et la grande paix de leurs pas
Laurent Faugeras, Deux visages de la même eau, Les éd. du Contentieux, 2016
09:04 Publié dans La poésie des autres
18/07/2016
BOIS DE PEU DE POIDS
tu as la peau / visage dans ton cou /
qui sent le sel / souffle-t-elle /
cette mer à laquelle tu te relies /
ayant nagé / brassé avant midi en elle
que tu portes ainsi telle une eau
de toilette / un littoral que ton amour
décèle en promenant ses lèvres sur toi /
retrouvant un peu de sa force / violence
d'avancées des flots sur les salins
qu'est devenu ton corps si léger /
épiderme à la surface de sa bouche
par magie qui fait cesser les tempêtes /
te recueille sur sa langue / en sachet
de fleur de sel envoûtant sa baignade
Romain Fustier, Bois de peu de poids : été - automne. Lanskine, 2016
09:43 Publié dans La poésie des autres
07/01/2016
ÉLÉGIES POUR LE TEMPS DE VIVRE
Tu m’as reçu comme le jour reçoit
les premières rumeurs de l’aube,
tu m’as dit que derrière le soleil
des poèmes prenaient racine, tu
m’as parlé d’oiseaux perdus,
de fleurs inapaisées, tu m’as dit
qu’une source jouait dans les replis
de ta mémoire – et je t’ai cru,
je t’ai suivi sous la neige qui
venait de tomber sur le jardin muet,
je me suis serré contre toi, sans
crainte, sans efforts, avec le souvenir
d’étreintes passées qui m’avaient
tant charmé, je suis entré en toi,
tu m’as reçu comme la nuit
reçoit le frisson des étoiles, comme
le silence appelle le silence jusqu’aux
frontières de l’échange, comme
tout se résout dans ce qui nous attend.
Richard Rognet, Élégies pour le temps de vivre, Poésie/Gallimard, 2015
09:40 Publié dans La poésie des autres
12/10/2015
J'ERRE SANS ATTACHE SUR LA VOIE
De quelle nuit es-tu venue ?
De quel jour ? Soudain tu es
Au cœur de tout. Les lilas
Ont frémi ; le mot est dit.
Tout prend sens, tout se découvre
Don. Dès lors, tout se transmue :
Le ciel-terre en chair aimante,
En ondes sans fin les instants.
*
J’erre sans attache sur la Voie,
En plein cœur de la lente chute
des feuilles et des étoiles ;
Au lointain appel d’une voix,
Je me retourne et je vois
le visage et le regard.
L’automne mûr détient encore
Tout l’or secret du royaume,
par-delà flammes et larmes ;
Du fond de la frondaison,
Un chant trace la sente qui mène
à l’inapaisable fontaine.
François Cheng, La vraie gloire est ici. Gallimard, 2015
09:32 Publié dans La poésie des autres
07/07/2015
MÈRE OU L'AUTRE
l’enfant nu sort d’une prison de chair
sa liberté garde un œil derrière le front
il regarde en arrière
c’est moi qu’il voit vraie mère ou mère fictive
si je protège je fais écran (j’empêche aussi)
parce qu’elle a creusé en toi ce manque inguérissable
elle sera toujours là comme un fantôme te tirant vers le noir
quel amour faudra-t-il pour te guérir de l’absence originelle ?
Luce Guilbaud, Mère ou l’autre, Tarabuste, 2014
09:40 Publié dans La poésie des autres
04/06/2015
LA RETENUE
soustraire
au temps, au regard, à la lumière
au jour déjà commencé,
qui devra prendre date
aux mots écrits pour ce jour-là.
à la lumière
soustraire au cours du fleuve, au temps,
ce qu’il charrie,
ne pas le regarder couler,
s’enfouir sous le vert gazon qui borde ses rêves.
soustraire au sens ma propre voix, le monde à mes yeux
ce matin.
au temps, au regard, à la lumière.
il n’y aura pas de libération glorieuse,
puisque la contrainte est lâche.
un refuge n’est pas le mot qui convient, mais
« gangue ».
Lucie Taïeb, La retenue, Lanskine, 2015
13:09 Publié dans La poésie des autres
20/04/2015
CHUT
montagnes
soleil de fin de route
bien arrivés
Au téléphone tu dis
je suis malade
trois mots
trois tonnes d’argile
sans émail
Moi l’oiseau rieur
le bec le cœur
en une seconde
cloués
Estelle Fenzy, Chut (le monstre dort). La Part commune, 2015
09:38 Publié dans La poésie des autres
15/12/2014
LUNDI
Je grise
Je froide
Je crève
En haut c'est pas matin
C'est rien
Qu'après la nuit
Les voix qui m'appellent
Me cherchent dans mon puits
Se taisent
Font "chut"
En haut c'est rien
L'odeur de tabac froid
Dans le drap et ses plis
Presque plus
Rien qu'un chuchotement
À peine
Je sors
Valérie Harkness, Lundi, Editions Henry, 2014
13:26 Publié dans La poésie des autres