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18/11/2008

PLANCHE EN BOIS

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Il m’a fallu un peu de temps et quelques relectures pour saisir la portée de l’écriture de Cécile Guivarch. Parce que son écriture apparaît au premier abord brève, hachurée de phrases courtes, il y a le risque de passer à côté de tout un arrière plan et de l’émotion qu’il contient. Retour 1941. En vrac dans un carton. Souvenirs du port de Toulon. Odeur grand-père, grand-mère. Je suis loin. 1941. C’est la guerre. Tout commence avec ces photographies jaunies retrouvées dans un carton. Un passé que n’a pas connu l’auteur, un passé qui la précède. Puis les souvenirs de l’enfance émergent, ceux de quand ils étaient vivants. Toujours grand-père son odeur de grand-père. Celle des champs de la paille et du foin. À partir de là, l’attention se porte sur grand-mère, l’accompagne dans le souvenir, comme pour revenir en arrière, revivre encore ce qui a précédé. Grand-mère, l’auto bleue citroën verte fallait passer les vitesses. […] L’auto vendue, ta mémoire s’est vidée grand-mère. Œil vide. Terre. Il y a la planche en bois, couleur verte, symbole du passé, de la table à manger, des heures à décortiquer les crabes, à étaler le beurre sur le pain de six livres. Il y a le grand méchant loup pas loin grand-mère, qu’il faut chasser. Puis. Le silence de ta mémoire les détails de toi petite. […] Grand-mère morte de ta naissance. Accompagner, encore, dans le dernier voyage. À quoi bon grimper aux arbres, tu ne toucheras jamais le ciel. Traverse d’abord l’histoire n°3. Celle qui s’approche de ta naissance et des odeurs n°4 et 5. Te faudrait vivre à haute voix pour entendre le silence qui te précède. Ne tarde pas trop à t’oublier dehors.

 

Cécile Guivarch, Planche en bois, Contre-allées, 2007

Chronique parue dans Verso n°133

19:58 Publié dans Chroniques

16/11/2008

TOUS LES MATINS DU MONDE

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À cette heure, le soleil avait déjà disparu. Le ciel était rempli de nuages de pluie et il faisait sombre. L’air était plein d’humidité et laissait pressentir une averse prochaine. Il suivit la Bièvre. Il revit la maison et sa tourelle et se heurta aux hauts murs qui la protégeaient. Au loin, par instants, il percevait le son de la viole de son maître. Il en fut ému. Il suivit le mur jusqu’à la rive et, empoignant les racines d’un arbre qu’une crue du ruisseau avait mise à nu, il parvint à contourner le mur et à rejoindre le talus de la rive qui appartenait aux Sainte Colombe.

 

Pascal Quignard, Tous les matins du monde, folio/Gallimard, p. 93

 



 B.O. du film Tous les matins du monde dir. par Jordi Savall

11:55 Publié dans La poésie des autres

14/11/2008

PAROLES

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Paroles, à peine paroles

(murmurées par la nuit)

non pas gravées dans de la pierre

mais tracées sur des stèles d’air

comme par d’invisibles oiseaux,

 

paroles non pas pour les morts

(qui l’oserait encore désormais ?)

mais pour le monde et de ce monde.

 

Philippe Jaccottet, Ce peu de bruit, NRF/Gallimard, 2008, p. 45

19:56 Publié dans La poésie des autres

13/11/2008

LA SONATE À KREUTZER

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Je posai le revolver et le recouvris d’un journal. Je m’approchai de la porte et l’ouvris. C’était la sœur de ma femme, une veuve à la fois bonne et stupide…

– Vassia, va la voir. Ah ! c’est affreux, dit-elle.

« Aller la voir ? » m’interrogeai-je. Aussitôt je me répondis qu’il fallait aller la voir, que probablement cela se faisait toujours. Quand un mari, comme moi, avait tué sa femme, il fallait certainement qu’il aille la voir.

« Si cela se fait, il faut y aller, me dis-je. Et si c’est nécessaire j’aurai toujours le temps », songeai-je à propos de mon intention de me suicider…

– Attends, dis-je à ma belle-sœur, c’est bête d’y aller sans bottes, laisse-moi au moins mettre mes pantoufles.

 

Léon Tolstoï, La sonate à Kreutzer, folio/Gallimard, p. 208

16:00 Publié dans La poésie des autres

LA FABLE DU MONDE

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Il a plus si fort que la mer est douce,

Et même il y pousse ostensiblement

Des palmiers à fruits et des pamplemousses

Sans se soucier des poissons changeants.

Les turbots marins tournent à la truite,

La sole s’allonge et devient anguille,

Un grand paquebot n’est plus qu’un canot

Où rament en chœur quatre jeunes filles.

Si vous vous penchez sur les calmes flots

Vous voyez au fond ah ! si peu marin,

Qu’y viennent brouter les bœufs riverains

Sortant quelquefois la tête de l’eau.            

 

Jules Supervielle, La fable du monde, Poésie/Gallimard, p. 205

10:06 Publié dans La poésie des autres

11/11/2008

ENTRE LE VERRE ET LA MENTHE

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je me heurte aux mots

à leur paroi sur la feuille

peine à m’infiltrer en eux

à les laisser éclore

 

exhaler leur parfum

 

je lâche prise décide

d’attendre qu’ils viennent à moi

 

à la deuxième lecture

le lierre se met à bouger

le chèvrefeuille fleurit

 

le poème hermétique

ouvre la boîte aux arômes

 

citron vanillé cannelle

amandes avec touche d’épices

 

fraîcheur de la mer verte

 

un monde entier prend forme

 

 

Valérie Canat de Chizy, entre le verre et la menthe, Jacques André éd., 2008, 11 €

13:04 Publié dans Recueils parus

08/11/2008

LE JOUR SE TAIT

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Depuis longtemps

les villages dessolés

 

le corps s’est replié

le clapot

sous les dents

d’une baie violette

 

il a bu

la terre

 

 

Anne-Lise Blanchard, Le jour se tait, J. André, 2008, p. 50

18:38 Publié dans La poésie des autres

05/11/2008

LA HAUTE FOLIE DES MERS

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Je te parle derrière l’écume     derrière le sang de l’écume     derrière les plumes de l’écume

 

Je te parle et je prie     devant la ligne de l’horizon     devant les vagues qui avancent     qui poussent leur mufle doux

 

Je te parle derrière l’ocre des couchants enrhumés d’or

 

[…]

 

Je te parle derrière la plus haute vague     celle qui hisse sa crête d’éclat de soleil     celle où reste un goéland     pensif     méditant     et les débris de ma vie qui chantent

 

 

Vincent Calvet, La haute Folie des mers, Cheyne éd., 2007, p. 9

18:23 Publié dans La poésie des autres

04/11/2008

C'EST UN RÊVE

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C’est un rêve sans fin

de réparation

de monde lié

suturé l’oreille

la bouche la parole

le son

20:13 Publié dans La poésie des autres

03/11/2008

ÉCRIRE 2

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Écrire pour creuser

la tombe

me rapprocher

de mon origine

silence du liquide

rouge de l’œuf

où dort l’œil

de pierre noire

21:44 Publié dans La poésie des autres