22/11/2008
J'AI DERRIÈRE LE CIEL UN CIEL
J’ai derrière le ciel un ciel pour revenir, mais
Je continue à polir le métal de ce lieu, et je vis
Une heure qui discerne l’invisible. Je sais que le temps
Ne sera pas par deux fois mon allié, et je sais que je sortirai de ma
Bannière, oiseau qui ne se pose sur nul arbre
Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite, Poésie/Gallimard, p. 268
23:12 Publié dans La poésie des autres
21/11/2008
MÉMOIRE DES LIMBES
Moi
Ma mémoire
Ce soleil
Cette poussière
Cette odeur de pierre
Cette pointe fraîche
De voûte et de marronnier
Ce retrait devant d’autres
Qui jouent de leur voix
Dans un coin de jour de fête
Peut-être ai-je un peu inventé cette
scène
En ce moment où les choses
Doucement se descellent
Gilles Lades, Mémoire des limbes, Gros textes, 2004, p. 48
16:32 Publié dans La poésie des autres
19/11/2008
LE JARDIN DES CHATS
Dans la ville, il y a un jardin d’arbres centenaires de caisses de bois et de cartons. Des chats y ont élu domicile, des dizaines de chats tout noirs. Un seul est blanc. Sur la pierre, lorsque les nuages dégagent le soleil, ils s’étirent, allongés sur le flanc, la patte langoureusement posée, coussinets moelleux palpant la surface rêche. À un moment de la journée où la faim les tenaille, ils se regroupent devant la grille, à l’affût. La voiture se gare tout près de là, un couple âgé en descend avec de grands sacs lourds. Parfois, c’est une dame aux cheveux teints, très maquillée, qui les nourrit.
Le jardin des chats est un lieu de figurines de bois peint. Des figurines imaginaires. Des chats de tous les horizons, sculptés, posés dans l’herbe. On marche avec précaution. On regarde. C’est une pente herbeuse avec des buissons, on prend garde à ne pas faire de bruit pour ne pas déranger les habitants de ces lieux.
Un soir que je rentrais chez moi, l’un d’eux a traversé la rue en courant. Il s’est jeté à mes pieds, s’est roulé, a quémandé des caresses. Le regardant attentivement, j’ai vu qu’il avait la bouche en sang.
Des grilles entourent le jardin. Les chats ne sont pas prisonniers du jardin. C’est le jardin qui les protège.
La nuit, les ruines chuchotent des histoires de souris et de chasse. Des histoires de chats, à dormir debout.
21:32 Publié dans La poésie des autres
18/11/2008
PLANCHE EN BOIS
Il m’a fallu un peu de temps et quelques relectures pour saisir la portée de l’écriture de Cécile Guivarch. Parce que son écriture apparaît au premier abord brève, hachurée de phrases courtes, il y a le risque de passer à côté de tout un arrière plan et de l’émotion qu’il contient. Retour 1941. En vrac dans un carton. Souvenirs du port de Toulon. Odeur grand-père, grand-mère. Je suis loin. 1941. C’est la guerre. Tout commence avec ces photographies jaunies retrouvées dans un carton. Un passé que n’a pas connu l’auteur, un passé qui la précède. Puis les souvenirs de l’enfance émergent, ceux de quand ils étaient vivants. Toujours grand-père son odeur de grand-père. Celle des champs de la paille et du foin. À partir de là, l’attention se porte sur grand-mère, l’accompagne dans le souvenir, comme pour revenir en arrière, revivre encore ce qui a précédé. Grand-mère, l’auto bleue citroën verte fallait passer les vitesses. […] L’auto vendue, ta mémoire s’est vidée grand-mère. Œil vide. Terre. Il y a la planche en bois, couleur verte, symbole du passé, de la table à manger, des heures à décortiquer les crabes, à étaler le beurre sur le pain de six livres. Il y a le grand méchant loup pas loin grand-mère, qu’il faut chasser. Puis. Le silence de ta mémoire les détails de toi petite. […] Grand-mère morte de ta naissance. Accompagner, encore, dans le dernier voyage. À quoi bon grimper aux arbres, tu ne toucheras jamais le ciel. Traverse d’abord l’histoire n°3. Celle qui s’approche de ta naissance et des odeurs n°4 et 5. Te faudrait vivre à haute voix pour entendre le silence qui te précède. Ne tarde pas trop à t’oublier dehors.
Cécile Guivarch, Planche en bois, Contre-allées, 2007
Chronique parue dans Verso n°133
19:58 Publié dans Chroniques
16/11/2008
TOUS LES MATINS DU MONDE
À cette heure, le soleil avait déjà disparu. Le ciel était rempli de nuages de pluie et il faisait sombre. L’air était plein d’humidité et laissait pressentir une averse prochaine. Il suivit la Bièvre. Il revit la maison et sa tourelle et se heurta aux hauts murs qui la protégeaient. Au loin, par instants, il percevait le son de la viole de son maître. Il en fut ému. Il suivit le mur jusqu’à la rive et, empoignant les racines d’un arbre qu’une crue du ruisseau avait mise à nu, il parvint à contourner le mur et à rejoindre le talus de la rive qui appartenait aux Sainte Colombe.
Pascal Quignard, Tous les matins du monde, folio/Gallimard, p. 93
B.O. du film Tous les matins du monde dir. par Jordi Savall
11:55 Publié dans La poésie des autres
14/11/2008
PAROLES
Paroles, à peine paroles
(murmurées par la nuit)
non pas gravées dans de la pierre
mais tracées sur des stèles d’air
comme par d’invisibles oiseaux,
paroles non pas pour les morts
(qui l’oserait encore désormais ?)
mais pour le monde et de ce monde.
Philippe Jaccottet, Ce peu de bruit, NRF/Gallimard, 2008, p. 45
19:56 Publié dans La poésie des autres
13/11/2008
LA SONATE À KREUTZER
Je posai le revolver et le recouvris d’un journal. Je m’approchai de la porte et l’ouvris. C’était la sœur de ma femme, une veuve à la fois bonne et stupide…
– Vassia, va la voir. Ah ! c’est affreux, dit-elle.
« Aller la voir ? » m’interrogeai-je. Aussitôt je me répondis qu’il fallait aller la voir, que probablement cela se faisait toujours. Quand un mari, comme moi, avait tué sa femme, il fallait certainement qu’il aille la voir.
« Si cela se fait, il faut y aller, me dis-je. Et si c’est nécessaire j’aurai toujours le temps », songeai-je à propos de mon intention de me suicider…
– Attends, dis-je à ma belle-sœur, c’est bête d’y aller sans bottes, laisse-moi au moins mettre mes pantoufles.
Léon Tolstoï, La sonate à Kreutzer, folio/Gallimard, p. 208
16:00 Publié dans La poésie des autres
LA FABLE DU MONDE
Il a plus si fort que la mer est douce,
Et même il y pousse ostensiblement
Des palmiers à fruits et des pamplemousses
Sans se soucier des poissons changeants.
Les turbots marins tournent à la truite,
La sole s’allonge et devient anguille,
Un grand paquebot n’est plus qu’un canot
Où rament en chœur quatre jeunes filles.
Si vous vous penchez sur les calmes flots
Vous voyez au fond ah ! si peu marin,
Qu’y viennent brouter les bœufs riverains
Sortant quelquefois la tête de l’eau.
Jules Supervielle, La fable du monde, Poésie/Gallimard, p. 205
10:06 Publié dans La poésie des autres
11/11/2008
ENTRE LE VERRE ET LA MENTHE

je me heurte aux mots
à leur paroi sur la feuille
peine à m’infiltrer en eux
à les laisser éclore
exhaler leur parfum
je lâche prise décide
d’attendre qu’ils viennent à moi
à la deuxième lecture
le lierre se met à bouger
le chèvrefeuille fleurit
le poème hermétique
ouvre la boîte aux arômes
citron vanillé cannelle
amandes avec touche d’épices
fraîcheur de la mer verte
un monde entier prend forme
Valérie Canat de Chizy, entre le verre et la menthe, Jacques André éd., 2008, 11 €
13:04 Publié dans Recueils parus
08/11/2008
LE JOUR SE TAIT
18:38 Publié dans La poésie des autres











