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03/12/2008

DE TÊTES

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Ça  clignote les paupières.  L’orage pilonne, devant craque la

nuit.  Dans  le  souffle  asthmatique  du  tram,  on dirait tassés

des corps d’insectes. Mon père, encore, charabia d’étincelles,

tête  rapide  en mémoire, finit son jeu de massacre.  Cogne en

série,  moins  vite,  moins  fort  peut-être. Au fond, comme si

parler  c’était sa faute, ma chance. Ne sont pas si loin ce midi

d’été,  ce  coup  raté,  ma  bouche sanglante. Je donne la part.

Chacun sa tête. On ouvre avec ce qu’on peut.

 

Armand Dupuy, « De têtes », Décharge n°139, p. 106

20:38 Publié dans La poésie des autres

01/12/2008

POUR TOI

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Pour toi

 

Pour ma liberté

 

Par conviction

 

Je joue

Avec les éléments

 

Je me laisse empreindre

De ton aura de souffre

 

Elle me suit

De toutes façons

 

Depuis longtemps

 

Je l’habite

 

Je danse

Avec elle

 

Avec elle seule

 

 

Valérie Canat de Chizy, Il y a des lunes, Encres vives, Collection Encres blanches n°340, octobre 2008, p. 6

18:44 Publié dans La poésie des autres

TU ME PROPOSES L'IMPOSSIBLE

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Tu me proposes l’impossible

 

Je suture mes genoux

Mes lombaires

 

J’avance et me bats

Chaque jour

 

Pour rétablir la vérité

 

Sais-tu je l’ai toujours su

Par-delà les distorsions

 

Tu portes en toi l’infini

Il te restait à le découvrir

 

 

Valérie Canat de Chizy, Il y a des lunes, Encres vives, Collection Encres blanches n°340, octobre 2008, p. 4

18:37 Publié dans La poésie des autres

IL Y A DES LUNES

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Il y a des lunes

Ton visage

 

La pierre dans le lac

A brisé ton reflet

 

Et mes morceaux de peau

Sont tombés

 

Voici

Le jour décline

 

Tu me visites

Je ne détourne pas la tête

 

Je t’ai connu

Intensité fracas

 

Je te revois

En songe

 

 

Valérie Canat de Chizy, Il y a des lunes, Encres vives, Collection Encres blanches n°340, octobre 2008, p. 1

18:27 Publié dans La poésie des autres

30/11/2008

LA TACTIQUE DES ANGES

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Dans la chambre vacante, un enfant naît, meurt. L’enfant est le frère. Son surgissement, sa disparition, laisse un espace, une béance, devenus terrain d’écriture. L’été pétille / dans la bouche, // les visages fondent / une joie douce, // nous marchons / guidés par l’essentiel. Essentialité de la poésie, qui est à elle seule tactique des anges, quand il s’agit d’égrener le chapelet des heures pleines. Dormir engendre / un poumon  / régulier. // Dormir engendre. Résurgence de la vie, constamment créée, recréée. Il y a cette lumière. // Elle est parmi nous / et donne le visage // en donnant / la substance. // le grain est total. Tout réside dans le grain de cette lumière, réelle, irradiante. La forêt / sera // proie / de lumière // parmi les interstices. // Je capte chacun de ses bonds. Bien sûr, les interstices sont là, comme autant de fissures. S’agrandir. Se grandir. Tiens bon malgré // la secousse / affolée // du monde. Le grain, donc, se concentre. Grain de la peau. Penser ne pense plus / mais frémir. Incarnation. Et je prête à ton fantôme / une chair innombrable. // D’apparaître / le visage // pulvérise. La tactique des anges est une lutte accomplie de petits riens. Car : Je suis par transparence / le pli accidenté. L’on revient à cette vacance initiale. J’ai donc une cause secrète, / semblable aux noires violettes. Marie-Noëlle Agniau restaure l’amande. C’est-à-dire qu’elle reconstitue, par le biais de l’écriture, le noyau initial. Es-tu l’enfant de sable / qui dépouille / les chants d’oiseaux // et met au centre / leur clarté ? Il y a cet enfant auquel elle s’adresse, qu’elle console. Dors // et dans ton poing / d’atomes, // on trouvera / le jour. Bien sûr, l’ange est là. Penché au-dessus de son épaule : Te voir alors que tu veilles / est certain.

 

Marie-Noëlle Agniau, La tactique des anges, L’Harmattan, 2007

19:48 Publié dans Chroniques

27/11/2008

VENDANGES

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   C’est les vendanges. Dans la rue les gens se hèlent, voix cordiales et enflées du matin, voix à la voile avec du soleil dedans et de la fraîcheur. C’est le café qui les rend joyeuses ou la goutte d’eau-de-vie avec, ou c’est simplement que pendant les vendanges les paysans sont heureux quand le temps reste clair.

   Les croquenots sur le gravier, à coups sourds, disent bonjour au sol comme les sabots des chevaux. On entend davantage la tonnaille de la charrette qui passe que les sabots du cheval qui la tire, les roues grincent sur le gravier, elles vont lentement, hésitantes comme des vaches qui s’approchent d’une fontaine.

 

Georges Navel, Travaux, folio/Gallimard, p. 195-196

09:46 Publié dans La poésie des autres

24/11/2008

SOUS LE CIEL DE NOUS

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Sophie G. Lucas tient la chronique d’un couple. Beaucoup de silences, et une écriture sans majuscules ni ponctuation : bonnets de laine / gants tricotés main / faisons buée sur les carreaux / reprendre de l’index le paysage / de quoi / blanc / aller loin. La narratrice s’efface derrière le tu et le nous, entre chagrin et cauchemars ; un lait chaud / tu pour nous deux / le bruit de la cuillère dans la casserole / et le vent dans les arbres. Son univers semble restreint par un voile de tristesse ; à trop de chagrin s’inventer / d’autres vies / juin tu ne vois donc pas la neige (hein) / bleue dans notre jardin. Voile qui semble susciter une incompréhension mutuelle, entre je plie plusieurs fois / mon gros doigt de pied / sur un bouton d’or / jusqu’à ce que l’os craque / l’écrase / toi haussant les épaules et je regarde tes mots / tes dents / et je me fiche / bien de la révolte / qui dedans. Il y a le jardin que l’on cultive – jardin zen / dans la purée cendrillon / (pommes-de-terre potimarron) –, comme un espoir de renaissance : tu te figures / que longtemps encore / je tiendrai / (col roulé corps plein de laine / cheveux de batailles cernes / cendrier plein) / et je tiens. Je tiens, grâce à toi, pourrait-on dire, car sous le ciel de nous, […] je ne vois que / ton dos sous le soleil / tes mots qui partent / dans la terre / ma fumée de cigarette / s’égarant / vers le ciel découvert / lente.

 

Sophie G. Lucas, Sous le ciel de nous, Contre-allées, 2007

(chronique parue dans Verso n°133, juin 2008)

00:20 Publié dans Chroniques

22/11/2008

J'AI DERRIÈRE LE CIEL UN CIEL

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J’ai derrière le ciel un ciel pour revenir, mais

 

Je continue à polir le métal de ce lieu, et je vis

 

Une heure qui discerne l’invisible. Je sais que le temps

 

Ne sera pas par deux fois mon allié, et je sais que je sortirai de ma

 

Bannière, oiseau qui ne se pose sur nul arbre

 

 

Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite, Poésie/Gallimard, p. 268

23:12 Publié dans La poésie des autres

21/11/2008

MÉMOIRE DES LIMBES

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Moi

Ma mémoire

Ce soleil

Cette poussière

Cette odeur de pierre

Cette pointe fraîche

De voûte et de marronnier

Ce retrait devant d’autres

Qui jouent de leur voix

Dans un coin de jour de fête

Peut-être ai-je un peu inventé cette

scène

En ce moment où les choses

Doucement se descellent

 

Gilles Lades, Mémoire des limbes, Gros textes, 2004, p. 48

16:32 Publié dans La poésie des autres

19/11/2008

LE JARDIN DES CHATS

Dans la ville, il y a un jardin d’arbres centenaires de caisses de bois et de cartons. Des chats y ont élu domicile, des dizaines de chats tout noirs. Un seul est blanc. Sur la pierre, lorsque les nuages dégagent le soleil, ils s’étirent, allongés sur le flanc, la patte langoureusement posée, coussinets moelleux palpant la surface rêche. À un moment de la journée où la faim les tenaille, ils se regroupent devant la grille, à l’affût. La voiture se gare tout près de là, un couple âgé en descend avec de grands sacs lourds. Parfois, c’est une dame aux cheveux teints, très maquillée, qui les nourrit.

 

Le jardin des chats est un lieu de figurines de bois peint. Des figurines imaginaires. Des chats de tous les horizons, sculptés, posés dans l’herbe. On marche avec précaution. On regarde. C’est une pente herbeuse avec des buissons, on prend garde à ne pas faire de bruit pour ne pas déranger les habitants de ces lieux.

 

Un soir que je rentrais chez moi, l’un d’eux a traversé la rue en courant. Il s’est jeté à mes pieds, s’est roulé, a quémandé des caresses. Le regardant attentivement, j’ai vu qu’il avait la bouche en sang. 

        

Des grilles entourent le jardin. Les chats ne sont pas prisonniers du jardin. C’est le jardin qui les protège.

 

La nuit, les ruines chuchotent des histoires de souris et de chasse. Des histoires de chats, à dormir debout.

  

 

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Photographie de Guylaine Carrot

21:32 Publié dans La poésie des autres