10/12/2008
VÉRITÉ DE LA POÉSIE
La vérité poétique est une vérité créatrice.
[…]
Il faut au poète toute sa méfiance et la garantie des sonorités justes pour se diriger dans le réel en apparence démonté.
Entre l’erreur de l’« évasion » idéaliste et l’erreur de l’ « acceptation » réaliste, au cœur même de l’exactitude et de l’épreuve – c’est là que se maintiennent à l’état incandescent les puissances condensatrices et formatrices de la poésie.
C’est là aussi que, familiers d’un lieu de rencontre qui se situe dans l’avenir et n’est vague que pour les faussaires, quelques-uns des meilleurs parmi les poètes français derniers venus entreprennent de parler au lecteur comme s’ils se parlaient à eux-mêmes, c’est-à-dire dans le dénuement, dans l’aride solitude de la sincérité.
Jean Tardieu, « Vérité de la poésie », Tardieu, œuvres, Quarto/Gallimard, 2003, p. 181-182
21:29 Publié dans La poésie des autres
MAMAN Ô MAMAN
14:39 Publié dans La poésie des autres
07/12/2008
L'HÉCATOMBE DES ORMES
Enfin il faudrait que cessent
la fonte des vitres, l’affaissement des plafonds,
la lèpre des écorces, les fougères impuissantes,
l’arrachement des tendons de mes poignets
(mon Dieu ce nu ridicule sur un lit,
sans tatouages mais
ces mauves et bleus venus de l’intérieur),
que cesse le défilé des heures
réservées à l’alternance
du flanc gauche et du flanc droit du
nu ridicule sur un lit
qui aurait aimé encore le soleil,
sur les lèvres le goût de mer
ou de la sueur à fendre les bûches
des deux peupliers trop mûrs […]
Jean-Louis Rambour, L’hécatombe des ormes, Éditions Jacques Brémond, 2005, p. 29
21:38 Publié dans La poésie des autres
03/12/2008
DE TÊTES
Ça clignote les paupières. L’orage pilonne, devant craque la
nuit. Dans le souffle asthmatique du tram, on dirait tassés
des corps d’insectes. Mon père, encore, charabia d’étincelles,
tête rapide en mémoire, finit son jeu de massacre. Cogne en
série, moins vite, moins fort peut-être. Au fond, comme si
parler c’était sa faute, ma chance. Ne sont pas si loin ce midi
d’été, ce coup raté, ma bouche sanglante. Je donne la part.
Chacun sa tête. On ouvre avec ce qu’on peut.
Armand Dupuy, « De têtes », Décharge n°139, p. 106
20:38 Publié dans La poésie des autres
01/12/2008
POUR TOI
Pour toi
Pour ma liberté
Par conviction
Je joue
Avec les éléments
Je me laisse empreindre
De ton aura de souffre
Elle me suit
De toutes façons
Depuis longtemps
Je l’habite
Je danse
Avec elle
Avec elle seule
Valérie Canat de Chizy, Il y a des lunes, Encres vives, Collection Encres blanches n°340, octobre 2008, p. 6
18:44 Publié dans La poésie des autres
TU ME PROPOSES L'IMPOSSIBLE
Tu me proposes l’impossible
Je suture mes genoux
Mes lombaires
J’avance et me bats
Chaque jour
Pour rétablir la vérité
Sais-tu je l’ai toujours su
Par-delà les distorsions
Tu portes en toi l’infini
Il te restait à le découvrir
Valérie Canat de Chizy, Il y a des lunes, Encres vives, Collection Encres blanches n°340, octobre 2008, p. 4
18:37 Publié dans La poésie des autres
IL Y A DES LUNES
Il y a des lunes
Ton visage
La pierre dans le lac
A brisé ton reflet
Et mes morceaux de peau
Sont tombés
Voici
Le jour décline
Tu me visites
Je ne détourne pas la tête
Je t’ai connu
Intensité fracas
Je te revois
En songe
Valérie Canat de Chizy, Il y a des lunes, Encres vives, Collection Encres blanches n°340, octobre 2008, p. 1
18:27 Publié dans La poésie des autres
30/11/2008
LA TACTIQUE DES ANGES
Dans la chambre vacante, un enfant naît, meurt. L’enfant est le frère. Son surgissement, sa disparition, laisse un espace, une béance, devenus terrain d’écriture. L’été pétille / dans la bouche, // les visages fondent / une joie douce, // nous marchons / guidés par l’essentiel. Essentialité de la poésie, qui est à elle seule tactique des anges, quand il s’agit d’égrener le chapelet des heures pleines. Dormir engendre / un poumon / régulier. // Dormir engendre. Résurgence de la vie, constamment créée, recréée. Il y a cette lumière. // Elle est parmi nous / et donne le visage // en donnant / la substance. // le grain est total. Tout réside dans le grain de cette lumière, réelle, irradiante. La forêt / sera // proie / de lumière // parmi les interstices. // Je capte chacun de ses bonds. Bien sûr, les interstices sont là, comme autant de fissures. S’agrandir. Se grandir. Tiens bon malgré // la secousse / affolée // du monde. Le grain, donc, se concentre. Grain de la peau. Penser ne pense plus / mais frémir. Incarnation. Et je prête à ton fantôme / une chair innombrable. // D’apparaître / le visage // pulvérise. La tactique des anges est une lutte accomplie de petits riens. Car : Je suis par transparence / le pli accidenté. L’on revient à cette vacance initiale. J’ai donc une cause secrète, / semblable aux noires violettes. Marie-Noëlle Agniau restaure l’amande. C’est-à-dire qu’elle reconstitue, par le biais de l’écriture, le noyau initial. Es-tu l’enfant de sable / qui dépouille / les chants d’oiseaux // et met au centre / leur clarté ? Il y a cet enfant auquel elle s’adresse, qu’elle console. Dors // et dans ton poing / d’atomes, // on trouvera / le jour. Bien sûr, l’ange est là. Penché au-dessus de son épaule : Te voir alors que tu veilles / est certain.
Marie-Noëlle Agniau, La tactique des anges, L’Harmattan, 2007
19:48 Publié dans Chroniques
27/11/2008
VENDANGES
C’est les vendanges. Dans la rue les gens se hèlent, voix cordiales et enflées du matin, voix à la voile avec du soleil dedans et de la fraîcheur. C’est le café qui les rend joyeuses ou la goutte d’eau-de-vie avec, ou c’est simplement que pendant les vendanges les paysans sont heureux quand le temps reste clair.
Les croquenots sur le gravier, à coups sourds, disent bonjour au sol comme les sabots des chevaux. On entend davantage la tonnaille de la charrette qui passe que les sabots du cheval qui la tire, les roues grincent sur le gravier, elles vont lentement, hésitantes comme des vaches qui s’approchent d’une fontaine.
Georges Navel, Travaux, folio/Gallimard, p. 195-196
09:46 Publié dans La poésie des autres
24/11/2008
SOUS LE CIEL DE NOUS
Sophie G. Lucas tient la chronique d’un couple. Beaucoup de silences, et une écriture sans majuscules ni ponctuation : bonnets de laine / gants tricotés main / faisons buée sur les carreaux / reprendre de l’index le paysage / de quoi / blanc / aller loin. La narratrice s’efface derrière le tu et le nous, entre chagrin et cauchemars ; un lait chaud / tu pour nous deux / le bruit de la cuillère dans la casserole / et le vent dans les arbres. Son univers semble restreint par un voile de tristesse ; à trop de chagrin s’inventer / d’autres vies / juin tu ne vois donc pas la neige (hein) / bleue dans notre jardin. Voile qui semble susciter une incompréhension mutuelle, entre je plie plusieurs fois / mon gros doigt de pied / sur un bouton d’or / jusqu’à ce que l’os craque / l’écrase / toi haussant les épaules et je regarde tes mots / tes dents / et je me fiche / bien de la révolte / qui dedans. Il y a le jardin que l’on cultive – jardin zen / dans la purée cendrillon / (pommes-de-terre potimarron) –, comme un espoir de renaissance : tu te figures / que longtemps encore / je tiendrai / (col roulé corps plein de laine / cheveux de batailles cernes / cendrier plein) / et je tiens. Je tiens, grâce à toi, pourrait-on dire, car sous le ciel de nous, […] je ne vois que / ton dos sous le soleil / tes mots qui partent / dans la terre / ma fumée de cigarette / s’égarant / vers le ciel découvert / lente.
Sophie G. Lucas, Sous le ciel de nous, Contre-allées, 2007
(chronique parue dans Verso n°133, juin 2008)
00:20 Publié dans Chroniques












