10/04/2010
LE DEHORS ET LE DEDANS
n’est plus le père de la musique
depuis que la parole a fini d’avouer
qu’elle ne nous conduit qu’au silence
les gouttières pleurent
il fait noir et il pleut
Dans l’oubli des noms et des souvenirs
il reste quelque chose à dire
entre cette pluie et Celle qu’on attend
entre le sarcasme et le testament
entre les trois coups de l’horloge
et les deux battements du sang
Mais par où commencer
depuis que le midi du pré
refuse de dire pourquoi
nous ne comprenons la simplicité
que quand le cœur se brise
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Points, 2007, p. 118-119
09:58 Publié dans La poésie des autres
26/03/2010
EXACTEMENT LÀ
Je est seul avec plein de nœuds en lui.
***
Ici Je n’en finit pas de panser ses plaies pense qu’il ne vaut pas même un bout de terre battu par les vents se dit qu’il ne doit pas penser ça mais ne peut pas faire autrement. Quand Je se regarde dans la glace maintenant ça occupe tout son esprit.
***
Je porte en lui tant de portes fermées claquées verrouillées au revoir merci pas le moment pas le temps pas maintenant. Ça en résonne encore dans ses oreilles.
***
Je voudrait ne plus se tromper autant si longtemps.
Jasmine Viguier, Exactement là, L’idée bleue, 2008, p. 48-51
20:05 Publié dans La poésie des autres
11/03/2010
LE SILENCE N'EST JAMAIS UN DÉSERT
La vie vient par vagues. C’est sans doute là la seule leçon de l’histoire. La joie vient par bloc tout comme le malheur ou les peines. Alors que le silence recouvre tout, depuis toujours. On a beau racler sous la terre, il n’en démord pas. On a beau marcher dans les ruines, c’est lui que l’on entend encore. Partout. Entre les herbes que l’été incendie. Entre les pierres que les vents déchirent. Il jette sur nous sa robe de neige, ses quatre saisons, ses litanies interminables. Il a foi en sa finitude.
Écrire, peut-être, est-ce une façon de vouloir en finir avec lui, de lui tordre le cou, de faire hurler les mots sur la page, de faire entrer le cri en leur chair car tel est leur destin, leur vocation. Car à quoi bon des mots d’où la vie serait absente, car à quoi bon des mots que nous nous contenterions d’enfermer dans nos livres, car à quoi bon des mots délivrés d’espérance ?
Joël Vernet, Le silence n’est jamais un désert, Lettres vives, 2000, p. 20
20:10 Publié dans La poésie des autres
01/03/2010
LA MAISON NATALE
Je m’éveillai, c’était la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et fermer la vague,
L’odeur de l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines cachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers.
Je passai dans la véranda, la table était mise,
L’eau frappait les pieds de la table, le buffet.
Il fallait qu’elle entrât pourtant, la sans-visage
Que je savais qui secouait la porte
Du couloir, du côté de l’escalier sombre, mais en vain,
Si haute était déjà l’eau dans la salle.
Je tournais la poignée, qui résistait,
J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive,
Ces rires des enfants dans l’herbe haute,
Ces jeux des autres, à jamais les autres, dans leur joie.
Yves Bonnefoy, Les planches courbes, Poésie/Gallimard, 2006, p. 83
22:13 Publié dans La poésie des autres
23/02/2010
IL Y A UN MYSTÈRE
De toute façon
Le voyage sera court
Tu n’étais pas faite
Pour les déplacements abusifs
Chaque pas avait son poids
De néant.
*
Au commencement
Fut un jardin
En friche
Quelques poteaux
Délimitaient son aire
Tu faisais déjeuner
L’invisible
Faute de réel.
*
Il y a un mystère dans les couleurs,
Face au matin, à la mort,
La lagune est d’un bleu de soie
Que les mouettes épousent doucement.
Dans la lente dérive vers les cyprès,
Les couleurs sont les passerelles secrètes,
Où va et vient le regard,
Dans son habitation d’ici.
Heather Dohollau, Seule enfance, Solaire, 1978
21:32 Publié dans La poésie des autres
05/02/2010
CE QUI MURMURE DE LOIN
20:00 Publié dans La poésie des autres
22/01/2010
LES YEUX SANS MESURE
L’homme ouvre les yeux et il traverse le ciel. Sa peau sous son front se soulève et recouvre le vide qui l’entoure. Comme si sa peau pouvait s’étirer si loin qu’elle en devenait transparente.
L’homme ouvre les yeux à la lumière et sa peau elle-même en devient voyante. Il voit par tous ses pores, par les plus infimes trous. Son corps n’est plus à sa taille réelle, il n’est plus d’une seule taille. Il voit et il est de toutes les tailles, il peut passer partout, de l’ouverture la plus infime à la plus infinie. Ses yeux qui se sont ouverts ont tout ouvert, ses paupières qui se sont soulevées l’ont soulevé de terre.
L’homme voit et il recouvre le vide qui l’entoure, il lui donne des contours, il trace dans le ciel une infinité de lignes d’horizon jusqu’où il fait voler son corps.
Jean-Luc Parant, Les yeux sans mesure, Fata Morgana, 2007, p. 41
13:50 Publié dans La poésie des autres
07/01/2010
NUITS ET NEIGES
Des voix de neige tournoient dans la nuit
le même enfant regarde le silence
danser pour ceux qu’étonne d’être là –
éclats de joie dans l’incompréhensible –
Neigez ô neiges, neigez, neigez
pattes de velours, cristaux impensés
neigez silence, neigez idées,
clartés sans mot écloses sur les lèvres
flocons, pétales, duvets
d’une pensée indivise
neigez drus dans nos ténèbres
îles de battements blancs –
Lorand Gaspar, Patmos et autres poèmes, Poésie/Gallimard, 2004, p. 175
14:53 Publié dans La poésie des autres
18/12/2009
LES RUINES DU CIEL
Le soleil est le grand maître. J’ai vu ce matin un de ses chefs-d’œuvre – une bouteille vide sur la pente herbeuse devant la gare. Il y avait dans cette scène une vie explosive et des verts admirables. La lumière sainte partout vibrait, du brin d’herbe au goulot vert émeraude et à l’étiquette blanc et or tournée vers le ciel illettré.
J’essaie avec des mots de peindre cette lumière qui vient d’entrer par la fenêtre et s’est plantée dans la peau rosée de la poire. Je n’y arrive pas et cet échec n’est pas sans gaieté – comme de perdre au jeu contre un ami.
Christian Bobin, Les ruines du ciel, nfr/Gallimard, 2009, p. 130
13:37 Publié dans La poésie des autres
03/12/2009
UNE SAISON DE NEIGE AVEC THÉ
Voici la biche bleuissant
penchée sur tes sommeils d’hiver
là où il fait sombre
comme un œil protégé
par la main du silence
regarde le charroi du temps
C’est une saison de neige et de lumière
tu dresses un corps qui te ressemble
sur la pierre de blancheur
dans la hanche sacrificielle
Tu veux.
Dans tes doigts le thé
ramène l’eau des rives
ritualise le monde
rassure la béance
Tu bois le thé
et la neige
sur le beau sein du vide
retourne la parole
Claudine Bohi, Une saison de neige avec thé, Le dé bleu / L’idée bleue, 2004, p. 40
01:28 Publié dans La poésie des autres