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27/11/2008

VENDANGES

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   C’est les vendanges. Dans la rue les gens se hèlent, voix cordiales et enflées du matin, voix à la voile avec du soleil dedans et de la fraîcheur. C’est le café qui les rend joyeuses ou la goutte d’eau-de-vie avec, ou c’est simplement que pendant les vendanges les paysans sont heureux quand le temps reste clair.

   Les croquenots sur le gravier, à coups sourds, disent bonjour au sol comme les sabots des chevaux. On entend davantage la tonnaille de la charrette qui passe que les sabots du cheval qui la tire, les roues grincent sur le gravier, elles vont lentement, hésitantes comme des vaches qui s’approchent d’une fontaine.

 

Georges Navel, Travaux, folio/Gallimard, p. 195-196

09:46 Publié dans La poésie des autres

22/11/2008

J'AI DERRIÈRE LE CIEL UN CIEL

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J’ai derrière le ciel un ciel pour revenir, mais

 

Je continue à polir le métal de ce lieu, et je vis

 

Une heure qui discerne l’invisible. Je sais que le temps

 

Ne sera pas par deux fois mon allié, et je sais que je sortirai de ma

 

Bannière, oiseau qui ne se pose sur nul arbre

 

 

Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite, Poésie/Gallimard, p. 268

23:12 Publié dans La poésie des autres

21/11/2008

MÉMOIRE DES LIMBES

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Moi

Ma mémoire

Ce soleil

Cette poussière

Cette odeur de pierre

Cette pointe fraîche

De voûte et de marronnier

Ce retrait devant d’autres

Qui jouent de leur voix

Dans un coin de jour de fête

Peut-être ai-je un peu inventé cette

scène

En ce moment où les choses

Doucement se descellent

 

Gilles Lades, Mémoire des limbes, Gros textes, 2004, p. 48

16:32 Publié dans La poésie des autres

19/11/2008

LE JARDIN DES CHATS

Dans la ville, il y a un jardin d’arbres centenaires de caisses de bois et de cartons. Des chats y ont élu domicile, des dizaines de chats tout noirs. Un seul est blanc. Sur la pierre, lorsque les nuages dégagent le soleil, ils s’étirent, allongés sur le flanc, la patte langoureusement posée, coussinets moelleux palpant la surface rêche. À un moment de la journée où la faim les tenaille, ils se regroupent devant la grille, à l’affût. La voiture se gare tout près de là, un couple âgé en descend avec de grands sacs lourds. Parfois, c’est une dame aux cheveux teints, très maquillée, qui les nourrit.

 

Le jardin des chats est un lieu de figurines de bois peint. Des figurines imaginaires. Des chats de tous les horizons, sculptés, posés dans l’herbe. On marche avec précaution. On regarde. C’est une pente herbeuse avec des buissons, on prend garde à ne pas faire de bruit pour ne pas déranger les habitants de ces lieux.

 

Un soir que je rentrais chez moi, l’un d’eux a traversé la rue en courant. Il s’est jeté à mes pieds, s’est roulé, a quémandé des caresses. Le regardant attentivement, j’ai vu qu’il avait la bouche en sang. 

        

Des grilles entourent le jardin. Les chats ne sont pas prisonniers du jardin. C’est le jardin qui les protège.

 

La nuit, les ruines chuchotent des histoires de souris et de chasse. Des histoires de chats, à dormir debout.

  

 

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Photographie de Guylaine Carrot

21:32 Publié dans La poésie des autres

16/11/2008

TOUS LES MATINS DU MONDE

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À cette heure, le soleil avait déjà disparu. Le ciel était rempli de nuages de pluie et il faisait sombre. L’air était plein d’humidité et laissait pressentir une averse prochaine. Il suivit la Bièvre. Il revit la maison et sa tourelle et se heurta aux hauts murs qui la protégeaient. Au loin, par instants, il percevait le son de la viole de son maître. Il en fut ému. Il suivit le mur jusqu’à la rive et, empoignant les racines d’un arbre qu’une crue du ruisseau avait mise à nu, il parvint à contourner le mur et à rejoindre le talus de la rive qui appartenait aux Sainte Colombe.

 

Pascal Quignard, Tous les matins du monde, folio/Gallimard, p. 93

 



 B.O. du film Tous les matins du monde dir. par Jordi Savall

11:55 Publié dans La poésie des autres

14/11/2008

PAROLES

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Paroles, à peine paroles

(murmurées par la nuit)

non pas gravées dans de la pierre

mais tracées sur des stèles d’air

comme par d’invisibles oiseaux,

 

paroles non pas pour les morts

(qui l’oserait encore désormais ?)

mais pour le monde et de ce monde.

 

Philippe Jaccottet, Ce peu de bruit, NRF/Gallimard, 2008, p. 45

19:56 Publié dans La poésie des autres

13/11/2008

LA SONATE À KREUTZER

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Je posai le revolver et le recouvris d’un journal. Je m’approchai de la porte et l’ouvris. C’était la sœur de ma femme, une veuve à la fois bonne et stupide…

– Vassia, va la voir. Ah ! c’est affreux, dit-elle.

« Aller la voir ? » m’interrogeai-je. Aussitôt je me répondis qu’il fallait aller la voir, que probablement cela se faisait toujours. Quand un mari, comme moi, avait tué sa femme, il fallait certainement qu’il aille la voir.

« Si cela se fait, il faut y aller, me dis-je. Et si c’est nécessaire j’aurai toujours le temps », songeai-je à propos de mon intention de me suicider…

– Attends, dis-je à ma belle-sœur, c’est bête d’y aller sans bottes, laisse-moi au moins mettre mes pantoufles.

 

Léon Tolstoï, La sonate à Kreutzer, folio/Gallimard, p. 208

16:00 Publié dans La poésie des autres

LA FABLE DU MONDE

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Il a plus si fort que la mer est douce,

Et même il y pousse ostensiblement

Des palmiers à fruits et des pamplemousses

Sans se soucier des poissons changeants.

Les turbots marins tournent à la truite,

La sole s’allonge et devient anguille,

Un grand paquebot n’est plus qu’un canot

Où rament en chœur quatre jeunes filles.

Si vous vous penchez sur les calmes flots

Vous voyez au fond ah ! si peu marin,

Qu’y viennent brouter les bœufs riverains

Sortant quelquefois la tête de l’eau.            

 

Jules Supervielle, La fable du monde, Poésie/Gallimard, p. 205

10:06 Publié dans La poésie des autres

08/11/2008

LE JOUR SE TAIT

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Depuis longtemps

les villages dessolés

 

le corps s’est replié

le clapot

sous les dents

d’une baie violette

 

il a bu

la terre

 

 

Anne-Lise Blanchard, Le jour se tait, J. André, 2008, p. 50

18:38 Publié dans La poésie des autres

05/11/2008

LA HAUTE FOLIE DES MERS

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Je te parle derrière l’écume     derrière le sang de l’écume     derrière les plumes de l’écume

 

Je te parle et je prie     devant la ligne de l’horizon     devant les vagues qui avancent     qui poussent leur mufle doux

 

Je te parle derrière l’ocre des couchants enrhumés d’or

 

[…]

 

Je te parle derrière la plus haute vague     celle qui hisse sa crête d’éclat de soleil     celle où reste un goéland     pensif     méditant     et les débris de ma vie qui chantent

 

 

Vincent Calvet, La haute Folie des mers, Cheyne éd., 2007, p. 9

18:23 Publié dans La poésie des autres